Je voudrais rendre hommage à Isidor Straus et à sa femme Ida, qui ont préféré mourir ensemble, à bord du "Titanic", plutôt que de se séparer.
Leur vie avait incarné le rêve américain : partis de rien ou presque (sa famille, originaire d'Allemagne, avait émigré aux Etats-Unis en 1854, et lui-même n'était d'abord qu'un petit épicier à Richmond, pendant la guerre de Sécession), il avait peu à peu bâti, par son travail acharné et son intelligence hors du commun, une immense fortune (la troisième ou quatrième des Etats-Unis) avec la création de la chaîne de magasins Macy's.
En même temps, il avait multiplié les actions caritatives et les oeuvres. Tout comme les Rothschild (également originaires d'Allemagne).
Après des vacances en Europe, lui et sa femme Ida revenaient aux Etats-Unis, à bord du plus beau paquebot jamais construit (inutile de citer lequel). Eux qui avaient connu la misère de l'entrepont des rafiots à voile pour émigrer aux USA vers le milieu du XIXème siècle, ils avaient bien mérité de goûter au confort et au luxe des installations de 1ère classe, au soir de leur vie.
A cet égard, loin de mériter la jalousie des passagers de 3ème classe, ils pouvaient leur servir d'exemple, eux qui avaient émigré 60 ans plus tôt dans des conditions encore beaucoup moins confortables : ils prouvaient qu'à force de travail et d'acharnement, n'importe qui pouvait réussir aux Etats-Unis, quels que soient les préjugés religieux et raciaux.
Sans doute bon nombre d'émigrants du "Titanic" auraient pu eux aussi voyager 40 ans plus tard en 1ère classe, à bord par exemple du "Queen Mary" ou du "Queen Elizabeth", après avoir réussi leur vie de la même manière, s'ils avaient survécu à la tragédie.
Mais hélas, le sort et surtout les incommensurables négligences de la compagnie comme de l'équipage en ont décidé autrement. Et c'est là que toute la noblesse d'âme des époux Straus est apparue :
Isidor souhaitait que sa femme embarque à bord d'un canot, mais elle avait catégoriquement refusé de quitter son mari. A un officier du paquebot, qui l'encourageait à se sauver, elle avait répondu :
"Pendant 40 ans, nous avons vécu dans le bonheur le plus complet côte à côte, sans jamais nous quitter (ils s'écrivaient tous les jours, quand ils étaient séparés physiquement) et vous voudriez qu'à l'instant fatidique, nous nous séparions ? Jamais : nous mourrons comme nous avons toujours vécu : ensemble !"
Emu par tant d'amour conjugal, aussi intense qu'à l'époque où ils étaient fiancés, le second officier Lightholler - qui n'avait pourtant laissé passer aucun homme jusque-là - avait voulu accorder une faveur exceptionnelle à M. Straus, en lui permettant de s'installer dans une chaloupe avec sa femme. Mais l'intéressé avait alors répondu :
"Mais enfin...il n'y a pas de raison : je ne vaux pas mieux qu'un autre. Je ne monterai pas à bord de ce canot avant un autre homme !"
En d'autres termes, ce gentleman, ce self-made-man, ce pionnier, devenu un pivot de l'économie comme de la politique américaine était demeuré, au fond de son coeur, le petit épicier de Richmond, fraîchement émigré d'Allemagne.
Et comme ils l'avaient souhaités, lui et sa femme sont restés ensemble jusqu'à la fin.
Après avoir donné au monde entier un exemple de réussite sociale, ils ont ainsi donné encore un exemple de courage et de fidélité inébranlable. Un exemple qui me fait réfléchir, moi qui ai tant de mal à croire au mariage...
J'espère qu'en passant sur le lieu du naufrage, on n'a pas oublié de réciter le kaddish pour eux, durant les années qui ont suivi.
Reposez en paix, unis pour l'éternité, Isidor et Ida
Voici d'abord une fiche descriptive de la vie d'Isidor Straus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Isidor_Straus
Et voici maintenant une scène du chef d'oeuvre "Titanic" de James Cameron, malheureusement coupée dans la version définitive :
https://www.youtube.com/watch?v=0OmeiqrJUis