TOLÉRANCE - De la question de l'importation du conflit israélo-palestinien, à la guerre contre l'EI, les élucubrations d'une Marion Maréchal Lepen refusant le "Black, Blanc, Beur", la montée des communautarismes, la naissance d'un nouveau féminisme revendiquant le port du voile et dénonçant la domination d'un féminisme "occidental". Du groupe identitaire aux "Français de souche" à ceux qui ne saisissent pas le mal être de l'artiste français Omar Sy, il est clair que la France vit de plein fouet les paradoxes de son identité nationale.
D'un extrême à l'autre, dans ce contexte démocratique représentatif fondé sur l'égalité politique, oscillant entre une tradition républicaine universaliste réputée en crise et un modèle multiculturaliste au cœur d'un monde globalisé qui ne convient pas, nous avons bien des difficultés à repenser notre pluralité, à redéfinir notre solidarité et refonder notre cohésion nationale.
Oui la France est cosmopolite, elle est terre de confessions de toutes provenances et de cultures croisées. Mais, inutile de rester dans le déni, la question identitaire occupera, elle l'occupe déjà, une place majeure dans l'espace public.
Mobilisés le 11 janvier pour la Liberté, il en reste qui "ne sont pas Charlie". Qui sont-ils ? Pourquoi et comment est-il possible que cette mobilisation autour de cette valeur républicaine ait rencontrée un autre écho ?
Arrive l'été et le fameux bikini. Des journalistes peu scrupuleux relatent l'agression d'une jeune femme à Reims. Il est sous-entendu le motif moral des agresseurs, pure contingence, ce fait "divers" fait écho à certains propos féministes tendancieux. Le miel de la fachosphère.
Ne soyons pas les victimes d'un nationalisme si exacerbé qu'il en revient aux théories de Gobineau fantasmées par Hitler, mettant toute sa foi dans un ADN de souche français. Mais par pitié n'allons pas dans l'autre extrême faisant d'un choix individuel et d'une pratique singulière causes politiques luttant contre le racisme, pour le droit des femmes et la liberté de culte comme le propose ce manifeste d'une jeune communiste "La femme voilée vous emmerde !". Une démarche bien éloignée de celle de Latifa Ibn Ziaten, humble et républicaine, avec l'association pour la jeunesse et la paix créée en mémoire de son fils Imad.
Osons, au nom du Progrès social, une souveraineté républicaine séculière et critique autour d'une communauté d'intérêts fondée sur les valeurs de Liberté, d'Egalité et de Fraternité. Une République française laïque reposant sur un patrimoine historique lucide et assumé qui regarde par-delà notre pluralité notre destin commun.
Nombre et diversité ne sont-ce pas les conditions du progrès ? pose Lévi-Strauss. La République française n'a pas vocation à uniformiser, la République française doit rétablir le contrat social et national par l'individu, ses choix, ses libertés, dans sa condition d'égale en toute fraternité. La République doit refonder les rapports public/privé pour l'intérêt général.
Ici, la tolérance "n'est pas une position contemplative, dispensant les indulgences à ce qui fut ou à ce qui est. C'est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être." La pluralité dans l'unité républicaine ne sera possible sans la force de notre mobilisation. Osons autrement si nous souhaitons que nos idéaux de progrès pour l'homme et par l'homme se réalisent.
La France est le fruit de migrations dans l'espace et dans le temps qui ont chaque fois eu pour effets des changements structurels sociétaux considérables. Nous souffrons aujourd'hui d'une crise identitaire liée à une crise de la conscience historique française qui elle-même s'accompagne d'une crise de projection, de perte d'horizon et de sens. Or, nous croyons que celle-ci peut se retrouver à la condition de retrouver notre "mémoire-souvenir" (Bergson) c'est-à-dire critique. Il faut pour cela accepter l'idée qu'il est toujours possible de raconter autrement. Nous devons procéder à une confrontation entre mémoire plurielle et histoire. Test critique majeur pour notre identité française. Nous devons avoir un regard actif et nous élever au-delà des mémoires reconnues pour les dépasser ensemble. En amorçant un échange actif des mémoires nous construirons une histoire nationale légitime car écrite ensemble. C'est à cette condition que notre destin commun sera possible.
Bibliographie
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SAYAD, Abdelmalek, L'immigration ou les paradoxes de l'altérité. 3. La fabrication des identités culturelles, Editions Raisons d'Agir, 2014.
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http://www.huffingtonpost.fr/matthieu-mayer/de-lidentite-nationale-a-la-francaise_b_8071406.html?utm_hp_ref=france