En découvrant l’autobiographie du Juif tunisien le plus exotique et le plus étonnant de Paris, je n’ai pu m’empêcher de penser à un livre lu il y a bien longtemps, une autobiographie, lui-aussi, d’une grande galeriste, juive ashkénaze, Marcelle Berr de Turique qui avait choisi, pour raconter son parcours extraordinaire dans l’entourage de Chagall, Valadon ou Dufy un titre qui ne l’était pas moins : « Une vie de travers » (1). L’itinéraire de Roland Bijaoui, on va le voir, n’a rien de commun avec le marché de l’art. Mais ce qui est sûr, c’est que le personnage a vécu une vie de travers, au bon sens du terme, comme voulait le dire celle qui régna sur « Le Portique », c’est-à-dire une vie complètement invraisemblable, faite de hauts et de bas, de réussites mirobolantes et d’échecs cinglants, de rencontres inespérées et de déceptions terribles.
« Le Portique » de Bijaoui, c’est « La Barge » un café restaurant hyper branché, haut lieu de rencontre du Tout-Paris, un univers kitch flottant amarré au quai de la Rapée. De Gabès, dans le Sud profond de la Tunisie aux bords de la Seine, quel parcours, quelle aventure !
Quand je repense à l’enfant que j’ai été, raconte Roland Bijaoui, les mots qui me viennent immédiatement à l’esprit sont rien moins qu’élogieux : « Fripouille, vaurien, filou, voyou, crapule… »
A Gabès, non loin de l’île de Djerba, où son père est fonctionnaire, la situation, depuis l’Indépendance du pays en 1956, est devenue difficile pour les Juifs. « Depuis les événements d’Algérie, la proclamation de l’indépendance en 1956 et l’élection de Bourguiba, mon père, comme beaucoup de ses compatriotes, n’a plus confiance en son avenir dans ce pays ». La famille quitte Gabès, son soleil mirifique et ses palmiers, la grande maison du bord de mer pour la grisaille parisienne. Plus exactement pour le vieux Saint-Maur où six personnes dorment dans une seule pièce. Plus tard, ce sera Thorenc, dans les Alpes-Maritimes, puis Nice. Roland à 8 ans et se prépare un bel avenir de cancre indiscipliné. Quant à la religion « Nous sommes juifs et tunisiens, et nos parents n’en font pas tout un tajine ».
Au grand désespoir du père qui aurait bien vu son fils en médecin ou en avocat, les deux professions les plus prisées des parents juifs tunisiens dans les années cinquante, Roland entreprend des études de…maçon. Mais sa vraie vocation est ailleurs, il sera « flambeur ». Et c’est vrai qu’il va, au cours des années, brûler ses jours et ses nuits dans les aventures les plus folles, négociant des affaires en millions de francs avec un compte en banque complètement à sec, côtoyant les grands de ce monde, notamment dans le domaine du show-biz. Avec des réussites inouïes et des échecs cinglants. Avec, en toile de fond, une capacité incroyable à trouver des idées neuves et à les vendre : l’ « Apoplexie », c’est lui, le management des restaurants des frères Blanc, c’est lui, l’idée d’associer cinéma et Hippopotamus, encore lui. « Monsieur Roland » qui se décrit comme « le roi du plaisir », propose ses inventions et ses services partout : au « Procope » ou à Robert Hossein, à l’Olympia ou à la Michodière. « Tu montes une pièce ? Je fais une bouffe » devient son leitmotiv.
Une vie de travers, oui, vraiment, mais quelle vie ! Une lecture agréable pour une détente et un dépaysement garantis.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions du Cherche Midi. Septembre 2007. 300 pages. 17€
(1) Marcelle Berr de Turique. Une vie de travers. Editions JML. Lyon. 1982.
source :
CRIF