« Untel dénonce son voisin en djellaba » ? On peut le comprendre
Après les attentats de Paris, l’une des priorités est d’élever le débat public chaque fois qu’il est question d’islam. Se nourrir de la réflexion d’experts et pas d’amateurs qui pourraient faire la une de Closer.Par Ramses Kefi Journaliste.
Publié le
19/11/2015 à 17h27
Lundi, un confrère du Parisien a posté un message sur Twitter. Il relayait la fatigue d’un policier qui en marre de perdre du temps avec des coups de fil bidon. Du type : « Untel dénonce son voisin en djellaba. »
Au moins aussi risible que pathétique. Mais il faut se mettre à la place de ce « untel ». Il n’est peut-être pas aussi demeuré qu’on le croit.
« Salafiste », « fondamentaliste », « djihadiste », « modéré », « radicalisé », « déradicalisé », « islamo-racailles », « voilée », « burqa », « communautariste », « islamo-braqueurs », « frères musulmans », « islamisation », « oumma », « islamo-nazis » : voilà ce qu’on lit, voit, entend dans certains médias et dans la bouche de certains politiques depuis des années.
Ce n’est pas de parler d’islam et des dérives religieuses qui est mal – bien au contraire –, c’est de le faire sans les précautions élémentaires, avec cette fâcheuse tendance à l’obsession. A faire peur, sans définir les termes employés et sans mesurer les conséquences sur les gens comme « untel ».
Ennemi intérieur, en temps de guerreDes politiques et des médias ont créé les conditions de la connerie et de la confusion. Inspiré chez certains les mauvaises conclusions : ces gens-là, qui ont la même trombine et le même prophète que l’ennemi, sont différents et quel que soit le discours, il est double. Un pour « nous », un entre « eux ». Du coup, ils ne peuvent pas être complètement français.
Alors, chaque attentat renvoie le Français musulman lambda, croyant ou seulement « d’apparence », à sa double peine : potentiellement une cible pour les djihadistes et dans son propre camp, la France. Le voilà « ennemi intérieur » en temps de « guerre ».
Mercredi, une femme voilée s’est fait agresser à Marseille. Ce week-end, un homme s’est fait tabasser à Pontivy (Morbihan). Depuis les attaques, les actes islamophobes se multiplient. Certains diront que ce n’est pas le débat car il y a des choses plus graves. Mais si, ça l’est.
Peur pour les siens, peur pour soiParfois, des musulmans se marrent de tout ça et restent optimistes. A Lille, des gens venus manifester leur soutien aux victimes des attentats ont dégagé des militants d’extrême droite. Mais souvent, ils ont peur pour la suite. Pour leur mère voilée ou pas, leur frère barbu ou pas et pour eux-mêmes, pratiquants ou pas.
La France et l’islam, c’est un peu comme un gamin qui persiste devant un jeu vidéo très complexe. Il joue tous les jours, mais reste bloqué au niveau 1. Le pire, c’est qu’il ne cherche pas la solution pour passer au niveau 2, 3, 4...
Certains diront que tout ça, ce sont des redites et des arguments de « bien-pensant ». Mais si c’était le cas, les mal-pensants auraient des solutions autres que de fantasmer un Guantanamo. Si ça permettait d’endiguer le terrorisme et la radicalisation, ça se saurait.
Dans les mêmes panneauxAprès cette barbarie, élever le débat public en ce qui concerne la question de l’islam en France est donc une des priorités intellectuelles. Avoir des médias et des politiques responsables, capables de débattre de tout, pourvu qu’ils débarquent avec des arguments et des idées mais pas des fantasmes et des fictions.
Cela commence par donner la parole et se nourrir de la réflexion de vrais experts, pas d’amateurs qui pourraient faire la couverture de Closer.
« Untel » s’est peut-être senti acculé. Il n’y comprend peut-être plus rien, alors il a pris son téléphone pour balancer son voisin. Peut-être même qu’« untel » est musulman. Qui sait ? Tout le monde a peur ici et croit que c’est la faute de l’autre.
La gauche s’agite, la droite aussi. Très vite, on est retombé dans les mêmes panneaux. Les musulmans doivent se désolidariser des barbares, bla-bla-bla. Alain Juppé a fait le coup.
En face, ils se frottent les mainsPeut-être qu’il faut lui mettre sous le nez les noms des personnes, musulmanes pratiquantes ou pas, qui sont mortes après les attentats. Les dépouilles peut-être ? Avec un petit mot, genre : « C’est assez solidaire ça ? »
Les « imams radicaux expulsés » ? Déjà vu et déjà appliqué. La déchéance de nationalité, la fermeture des mosquées à problèmes, le tout-sécuritaire ? On connaît le résultat et les non-sens que pointent du doigt les spécialistes les plus sérieux. L’Etat islamique autoproclamé se frotte les mains. Tout ça lui donne de la matière pour sa propagande.
Car cela n’empêchera des jeunes d’aller en Syrie pour en découdre et de revenir semer la terreur ici. Ils se foutent des mosquées, de leur statut administratif ou de la taule. De leurs parents, de l’argent et des innocents. La seule vraie question à se poser, c’est pourquoi ils s’en foutent de tout ça. En somme, se concentrer sur l’essentiel.
Mais pour y répondre, il faudrait comme préalable ne pas tomber au niveau de ce « untel ».
http://rue89.nouvelobs.com/2015/11/19/untel-denonce-voisin-djellaba-peut-comprendre-262188
PS: Jacky, Rue89 est un site de gauche (et non gauchiste)