Un mois jour pour jour après que les terroristes eurent tué cent trente personnes à Paris, les Français ont une fois encore démontré leur stoïcisme et leur lucidité. Tout comme mes compatriotes sont demeurés forts face au terrorisme, ils ont tenu bon contre les sirènes d'un populisme venimeux. Alors que les résultats du vote se précisaient, mon fils aîné s'est penché vers moi et m'a glissé à l'oreille : « C'est dans des moments pareils qu'il fait si bon être français. »
Si ces résultats sont les bienvenus, nous ne saurions pour autant leur permettre de nous aveugler sur le message du premier tour de l'élection, où le FN était arrivé premier dans six des treize régions du pays. Les électeurs français sont profondément déçus par les pouvoirs établis. Depuis l'élection présidentielle de 2012, Le Pen a triplé le soutien populaire à son parti, attirant presque sept millions d'électeurs cette fois-ci. Et pourtant, si inquiétante que soit sa rapide ascension, il y a beaucoup à apprendre de cette défaite décisive.
Pour commencer, les efforts du FN à se présenter comme un parti politique normal ont échoué. Malgré les tentatives de Le Pen pour adoucir le ton de son discours et pour élargir son audience, en se débarrassant – officiellement du moins – de ses éléments antisémites, le parti continue d'être perçu comme un risque par une majorité d'électeurs français.
« Nous ne sommes pas fous. » C'est ainsi que mes voisins, en Normandie – beaucoup sont fermiers ou artisans –, ont résumé les choses après les résultats du premier tour. Peut-être avaient-ils utilisé leur premier bulletin pour exprimer au gouvernement leur colère et au « système » leur mécontentement, mais ils savent que le FN est composé d'extrémistes incompétents. Ils ne veulent pas les voir en position de gouverner.
Même confrontés à la stagnation économique et au chômage de masse – spécialement parmi les jeunes –, les Français ne sont pas prêts à « renverser la table » au point d'abandonner l'euro ou l'Union européenne. Les gouvernements français – y compris celui qui est en exercice – n'ont sans doute pas su apporter la réponse adéquate à la crise économique qui ébranle le pays, mais cela ne signifie pas que les électeurs soient prêts à se jeter dans l'inconnu en accordant leur confiance à une bande de démagogues suffisants qui prospèrent sur le mécontentement et la peur.
Car la peur fut bien le facteur dominant de ces élections. Au premier tour, elle a donné l'avantage au FN, dont l'anxiété suscitée par les migrants, les terroristes, la mondialisation et l'ouverture au monde constitue la raison d'être. Mais au second tour, la peur fut la défaite de Le Pen. Les électeurs n'ont pas seulement craint de livrer des postes-clés aux contempteurs non qualifiés des élites ; ils ont craint de mettre en danger l'image de leur pays et de ruiner sa position en Europe et au-delà.
Dominique Moïsi
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