Yves-Marie Laulan est ancien Secrétaire national du RPR pour les Questions économiques, et ancien chef du Service des affaires économiques de l’OTAN . Il dirige l'Institut de Géopolitique des populations.
J’avais, à l’issue des grèves de décembre 1995, lorsque Alain Juppé était Premier ministre, rédigé un mémorandum à l’usage des futurs gouvernements confrontés, hier comme aujourd’hui, à une épreuve de force avec ces bastions corporatifs que sont devenus au fil des années la SNCF et la RATP. Plus de 10 ans après, je pourrais le reprendre mot pour mot.
En effet, depuis cette époque, la situation est restée quasiment inchangée :
- La SNCF -comme la RATP à un moindre degré- constituent un État dans l’État, inexpugnables dans la mesure où l’une et l’autre disposent d’un droit de grève sans restrictions,
- l’une et l’autre disposent de la capacité redoutable de prendre le public en otage à leur guise et par là, de paralyser l’économie française.
- leurs responsables n’ont aucun sens de la notion de bien public ou ni de respect pour la démocratie parlementaire, leur préoccupation exclusive étant le maintien des privilèges corporatifs exorbitants accordés à la légère voici des lustres.
Il est clair que les enjeux de la bataille dépassent largement le simple problème des régimes spéciaux. Il est de savoir qui gouverne vraiment en France : le gouvernement élu ou les syndicats. Rappelons que l’affaire a été magistralement réglée par deux fois à l’étranger : par le président américain Donald Reagan face à la grève des contrôleurs du ciel en août 1981 ; et par Margaret Thatcher, Premier ministre britannique, avec la grève des mineurs (qui a duré quand même 6 mois), en mars 1985. Il appartient au président Sarkozy, et à son gouvernement, de démontrer qu’ils sont capables d’en faire autant. Encore fallait-il s’en donner les moyens.
En effet, face à une telle situation, comme à l’époque d’Alain Juppé, le gouvernement ne dispose pas de possibilités bien considérables. Il espère gagner la bataille des grèves, à l’usure, en l’occurrence celle des semelles des usagers de la RATP et de la SNCF. C’est un pari risqué. Car à la longue, l’opinion publique, excédée, pourrait bien se retourner contre le gouvernement, comme cela a été le cas en 1995. Il est d’ailleurs curieux de voir comment les gouvernements choisissent volontiers le début des grands froids de l’hiver pour engager un bras de fer avec les syndicats. Il est vrai qu’ils disposent eux-mêmes de voiture de fonction, fort heureusement chauffées.
Ceci étant, faut-il le répéter, les enjeux ne sont pas minces. Car si gouvernement était contrait de capituler en rase campagne, comme 12 ans plus tôt, c’est tout le programme de réformes engagées par Nicolas Sarkozy qui risquerait fort de se retrouver « au placard ». Par ailleurs, décrédibilisé une fois pour toutes, le président fraîchement élu se verrait contraint de terminer son mandat à peine commencé en inaugurant des chrysanthèmes, comme Jacques Chirac après l’échec de 1995. Or il est difficile d’échapper à la curieuse impression que le gouvernement s’est engagé dans ce conflit, pourtant bien prévisible, comme à la « billebaude » et la fleur au fusil. A moins que le gouvernement ne dispose de quelques armes secrètes qu’il se propose de sortir en cas de péril grave. On verra bien.
En tous cas, voici ce que nos responsables auraient pu faire, -à défaut de l’avoir fait- de façon à changer l’équilibre des forces à leur profit.
En premier lieu mettre en place, bien à l’avance et non au dernier moment dans l’improvisation, un dispositif de transport de masse – (covoiturage associé à des facilités fiscales ou financières ; véhicules de l’Armée ou transports privés) - permettant au public pris en otage de ne pas souffrir excessivement des inconvénients d’une grève excessivement prolongée.
Installation de dispositifs judiciaires adaptés permettant de rechercher dans l’urgence devant la Justice la responsabilité individuelle des responsables d’un mouvement de grève troublant gravement l’ordre public. Ces derniers ne pourraient plus ainsi se soustraire allègrement à l’action publique en s’abritant derrière la masse collective de leurs adhérents.
Élargir enfin, comme cela a été maintes fois proposé et jamais mis en pratique, le champ de compétence du référendum de façon à y inclure les questions de société comme, par exemple, les réformes. En effet, voir une majorité de citoyens français se prononcer en faveur de la réforme à l’issue d’un référendum revêt une portée juridique et politique infiniment plus contraignante pour les syndicats - et les grévistes - que quelques sondages aux résultats toujours contestables effectués ici et là. Se soustraire au verdict du référendum serait sortir délibérément de la loi et s’engager sur le sentier, toujours périlleux, de l’illégalité.
Sauf à courir le risque de céder, le gouvernement aurait tout intérêt a prendre en compte ces diverses suggestions, s’il ne l’a pas déjà fait. A défaut la grève en cours pourrait promptement prendre l’allure d’une épreuve de force. L’expérience a montré que l’issue en est toujours incertaine.
Yves-Marie Laulan
source : objectif-info