http://www.haaretz.com/hasen/spages/930351.html
Le test du cigare de Lieberman
Akiva Eldar
Traduction : Gérard pour La Paix Maintenant
Alors que les députés de tous les partis avaient envahi la cafétéria de la
Knesset pour regarder la retransmission d¹Annapolis à la télévision, le
ministre chargé des affaires stratégiques Avigdor Lieberman faisait fi de
l¹écriteau d¹interdiction de fumer au fond du grand auditorium. Clairement,
les débats sur le contenu de la déclaration conjointe israélo-palestinienne
(1) ne l¹intéressaient pas. Et la décision d¹entamer des négociations
accélérées sur un accord définitif n¹a pas beaucoup ému les cercles de
droite, appartenant ou non à la coalition gouvernementale.
D¹un autre côté, les décisions d¹Annapolis lient les travaillistes au
gouvernement Olmert et protègent les ministres des éventuelles conclusions
du rapport Winograd (sur la gestion de la guerre du Liban). Même au Meretz,
on s¹interroge sur la manière de traiter un homme de droite qui s¹exprime
comme Uri Avnery.
Comment savoir qui a raison ? Ceux qui restent aux côtés d¹Olmert parce
qu¹ils croient/espèrent qu¹Annapolis se terminera comme les innombrables
accords qui l¹ont précédé ? Ou bien ceux qui restent parce qu¹ils
croient/espèrent que, cette fois, ce sera différent ? Les preneurs de
décisions ont-ils tiré les leçons des échecs précédents, ou bien
conduisent-ils (involontairement ou délibérément), au pire, à un régime
d¹apartheid, comme Olmert l¹a déclaré lui-même, ou à un autre cycle de
violences ? Voici trois tests pour nous aider à résoudre cette énigme.
1. Le test des positions d¹ouverture des négociations
Avant même le début des pourparlers sur un accord définitif, le gouvernement
doit clarifier ses positions d¹ouverture sur chacun des points essentiels.
S¹il adopte l¹approche selon laquelle les Palestiniens doivent se contenter
de la clôture de sécurité comme frontière politique, accepter la
souveraineté d¹Israël sur le Mont du Temple et effacer totalement tout
rappel du retour des réfugiés, nous pouvons économiser les frais entraînés
par la mise en place d¹une Administration de la paix.
Mahmoud Abbas et la direction palestinienne, qui a émergé d¹Annapolis avec
la mission de mener les négociations sur un accord de paix, est bien plus
faible que la délégation emmenée par Yasser Arafat à Camp David en juillet
2000. Après sept ans de « pas de partenaire », la destruction des
infrastructures du gouvernement central palestinien, la victoire du Hamas et
la perte de Gaza, la marge de man¦uvre du Fatah est très réduite.
Mahmoud Abbas ne peut pas se permettre de renoncer à un seul centimètre
carré de plus qu¹Arafat (les lignes de 1967), avec des ajustements de
frontières sur la base de l¹égalité et de l¹accord mutuel des deux parties.
Sur Jérusalem et les réfugiés, il ne servirait à rien de proposer aux
Palestiniens moins que ce que le plan Clinton offrait en décembre 2000.
1. Le test du tissu social
Les principes d¹Annapolis renvoient les parties à la formule de Rabin :
mener les négociations comme s¹il n¹y avait pas de terrorisme et combattre
le terrorisme comme s¹il n¹y avait pas de négociations. Toutefois,
l¹expérience du processus d¹Oslo nous enseigne qu¹un canal diplomatique n¹a
aucune valeur s¹il ne s¹accompagne pas d¹une amélioration pour la population
occupée par Israël. Les limites imposées à la circulation, les
expropriations pour la construction de la clôture aussi bien que pour les
colons, les assassinats et les arrestations massives sapent le soutien de
l¹opinion palestinienne à Abbas, et réduisent encore sa marge de man¦uvre,
déjà étroite. Le démantèlement des colonies dites sauvages, un gel total de
la construction dans les colonies, sans se cacher derrière son petit doigt
(appel aux notions de «croissance et d¹expansion naturelles »), et une
application totale des recommandations du rapport Sasson sur les colonies
sauvages ont toujours constitué le test des intentions du gouvernement
israélien (3).
1. Le test du chef d¹équipe
Au sein de l¹état-major, nombreux sont les généraux qui partagent toujours
la conception de « l¹assèchement de la motivation » des Palestiniens qui
avait cours sous Shaul Mofaz et Moshe Ya'alon. Dans les départements
planification et renseignement, aussi bien qu¹au bureau de liaison
diplomatie-sécurité du ministère de la défense, on dit et l¹on écrit que si
l¹armée devait se retirer de la Cisjordanie, nous serions obligés de
protéger les maisons de Kfar Saba (ville proche de Tel-Aviv et près de la
ligne Verte) des tirs de roquettes.
Si cela ne tenait qu¹à eux, l¹armée retournerait à Gaza. Ils n¹ont aucune
empathie pour le côté palestinien et ne pensent pas que des gestes généreux
ni même un accord de paix feraient que les services de sécurité palestiniens
remplaceraient convenablement les forces israéliennes dans les territoires.
Or, bien qu¹Olmert dise qu¹il n¹est pas impressionné par les scénarios
d¹horreur de l¹establishment militaire, il envisage de nommer un ancien
membre dudit establishment à la tête de l¹administration de la paix, un
homme qui, depuis des années, s¹est habitué à voir les Arabes à travers une
lunette de tir.
Lieberman n¹est pas un imbécile. Après Annapolis, comme avant, il ne se
presse pas de quitter le gouvernement. Tant qu¹il peut fumer tranquillement
ses cigares, ses amis de la colonie de Nokdim peuvent dormir sur leurs deux
oreilles.
(1) Texte : http://www.lapaixmaintenant.org/article1725
(2) Paramètres Clinton (résumé, sur les 3 principaux problèmes. Source :
"Israël et Palestine : Plans de paix et propositions d¹Oslo au
désengagement" par le Pr Galia Golan - pas d'éditeur pour l'instant).
Ces paramètres ont été présentés par Clinton aux 2 parties comme non
négociables, après l¹échec de Camp David.
Frontières : Israël se retire de 94 à 96% de la Cisjordanie, et
échange territorial égal à 1 à 3% de la Cisjordanie qui viendrait compenser
les Palestiniens.
Réfugiés : deux propositions, toutes les deux fondées sur l'idée que
la question des réfugiés devait être résolue, en gros, dans le cadre de
l'Etat palestinien. La formule pouvait être, soit une reconnaissance par les
deux partie du "droit au retour des réfugiés dans la Palestine historique",
soit le "droit des réfugiés palestiniens à leur patrie". Dans un cas comme
dans l'autre, il n'y aurait aucune ambiguïté quant au lieu où s'exercerait
ce droit : ce serait Israël qui, d'après Clinton, avait le droit de
déterminer sa politique d'immigration et de préserver son caractère juif.
Supposant qu'Israël pourrait autoriser un petit nombre de réfugiés à entrer,
il proposa cinq options, souvent discutées par le passé : "retour" dans
l'Etat palestinien ; "retour" dans les zones transférées aux Palestiniens
dans le cadre des échanges de territoires ; intégration dans les pays où ils
se trouvaient actuellement ; réinstallation dans un pays tiers ; admission
en Israël. Ces trois dernières options dépendraient de la politique
d'immigration de chaque pays concerné, y compris Israël. La priorité serait
donnée aux réfugiés du Liban, dont le sort était peut-être le pire, et dont
la plupart avaient de la famille qui vivait toujours en Galilée (Israël).
Prises dans leur globalité, ces dispositions étaient considérées comme une
application de la résolution 194.
Jérusalem : Les idées de Clinton ne tenaient aucun compte des
arrangements géographiques compliqués imaginés par les Israéliens à Camp
David, et allaient clairement dans le sens des exigences palestiniennes.
Très simplement, Clinton suggéra : les quartiers arabes seraient sous
souveraineté palestinienne et les quartiers juifs sous souveraineté
israélienne(Š). Les Palestiniens auraient réellement leur capitale à
Jérusalem, et Israël, ainsi que le présenta Clinton, obtiendrait enfin la
reconnaissance d'une grande partie de Jérusalem en tant que capitale de
l'Etat d'Israël.
(3) Rapport Sasson : voir l¹édito d¹Ha¹aretz "Fini de jouer"
http://www.lapaixmaintenant.org/article1009