PARIS (Reuters) - Nicolas Sarkozy a fait rentrer dans le rang Rama Yade, qui s'était offusquée de la coïncidence de la visite de Mouammar Kadhafi en France avec la journée mondiale des Droits de l'homme.
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Les déclarations de la jeune secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme dans une interview publiée par Le Parisien ont mis quelque peu à mal la solidarité gouvernementale.
Mais une convocation à l'Elysée, une mise au point de l'intéressée et quelques heures plus tard, le président de la République déclarait à la presse : "Rama Yade a confirmé (...) combien elle était en accord avec le principe de cette visite."
Nicolas Sarkozy, qui venait d'avoir un premier entretien avec le numéro un libyen, a réaffirmé sa "confiance" et son "amitié" pour sa secrétaire d'Etat, dont il a rappelé qu'elle était à ses côtés lors de sa visite à Tripoli le 25 juillet.
"Et par ailleurs elle est secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme et c'est parfaitement normal qu'elle assure une conviction sur le sujet, que par ailleurs je partage et que j'ai rappelée au président libyen", a-t-il ajouté.
Le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, a ensuite estimé que Rama Yade n'exprimait que sa propre sensibilité. "La voix de la France est exprimée par le président de la République. Mme Yade ce matin a exprimé une sensibilité, mais pas la voix de la France", a-t-il dit sur France 2.
Le rappel à l'ordre présidentiel a eu un effet radical et immédiat sur Rama Yade.
"Je ne peux pas dire que je suis heureuse de cette visite", disait-elle au Parisien. "Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort."
"La France n'est pas qu'une balance commerciale", ajoutait-elle. "Il ne faut pas que Nicolas Sarkozy tourne le dos à la diplomatie des valeurs."
Vers 10h10, Rama Yade était reçue par le chef de l'Etat à l'Elysée, dont elle sortait 20 minutes plus tard, et Europe 1 diffusait dans son journal de 13h00 une déclaration d'une toute autre tonalité.
"Je le redis, il est normal qu'on parle à tout le monde, c'est même un devoir de parler en priorité à ceux à qui on demande des efforts en matière de droits de l'homme, je dis et je redis que le Kadhafi d'aujourd'hui n'est pas le même que celui d'avant, je dis et je redis que je ne suis pas hostile au principe de cette visite", a-t-elle déclaré.
Elle a souhaité que sa position ne soit pas "caricaturée" par ceux qui, selon elle, veulent "s'en prendre à Nicolas Sarkozy" ou cherchent à affaiblir la diplomatie française "en nous opposant les uns aux autres".
LA PRUDENCE DE KOUCHNER
Pour le député PS Pierre Moscovici, Rama Yade n'a pas moins d'une certaine manière publiquement giflé Nicolas Sarkozy.
Bernard Kouchner s'était pour sa part montré à peine plus enthousiaste mais beaucoup plus prudent, quelques heures plus tôt sur France Inter.
Le ministre des Affaires étrangères s'est dit "résigné" à la visite de Mouammar Kadhafi et a salué "l'heureux hasard" qui l'éloignait de Paris - des réunions à Bruxelles - et l'exonérait du dîner officiel avec le numéro un libyen, à l'Elysée.
En réalité, selon des sources diplomatiques françaises, Bernard Kouchner devait bien rentrer à Paris pour dîner ... mais avec son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier.
L'opposition a pour sa part redoublé ses critiques contre la visite officielle de Mouammar Kadhafi, qui embarrasse aussi une partie de la majorité parlementaire.
Ségolène Royal a félicité Rama Yade pour "ses propos extrêmement courageux et clairs" au Parisien. "Elle est la seule au sein du gouvernement a parler clair, à parler juste, à parler fort et à avoir le courage de dire les choses", a dit sur France Info la dirigeante socialiste.
Le président du Mouvement démocrate (MoDem), François Bayrou, s'est indigné que la France déroule "le tapis rouge" sous les pieds d'un homme "qui a commis des actes terroristes parmi les plus horribles de ces dernières décennies (...) un dictateur sanguinaire (responsable) de prises d'otages".
Alain Bocquet, porte-parole des députés communistes, a jugé que cette visite constituait une "insulte à la démocratie française".
La Ligue des droits de l'homme, pour sa part, estime que la France "méprise" son héritage de "pays des droits de l'homme" en recevant Kadhafi et en félicitant le président russe Vladimir Poutine pour les récentes élections législatives en Russie.
La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) a dit quant à elle attendre "du gouvernement français un discours énergique, courageux et sans compromission".
Le Conseil représentatif des institutions juives de France a relevé de son côté que le dirigeant libyen a "régulièrement utilisé la torture" et qu'il "n'accepte pas de façon permanente l'existence de l'Etat d'Israël".