Rony Brauman, né à Jérusalem en 1950, est médecin, diplômé en épidémiologie et médecine tropicale. Après avoir travaillé plusieurs années comme médecin sur le terrain, il est devenu président de MSF en 1982 et a occupé ce poste jusqu’en 1994. Il est actuellement directeur de recherches à la Fondation Médecins Sans Frontières et professeur associé à l’IEP Paris. Il est chroniqueur pour le magazine trimestriel Alternatives Internationales. Ses principales publications Eloge de la désobéissance (avec Eyal Sivan), Le Pommier-Fayard, 1999, édition Poche-Pommier, 2006, Penser dans l’urgence, (entretiens avec Catherine Portevin), Le Seuil, 2006, La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs, la France, (avec Alain Finkielkraut, conversations avec Elisabeth Lévy), Mille et Une Nuits, 2006 et Aider, sauver, pourquoi, comment ? Petite conférence sur l’humanitaire, Bayard, 2006.
“Quand les caméras seront parties, il ne restera que la misère” : pendant les “semaines de la compassion” qui ont suivi le Tsunami en décembre 2004, vous avez été atterré par cette phrase, prononcée par un journaliste ou un autre professionnel du bon sentiment. L’affaire de l’Arche de Zoé est-elle l’aboutissement logique de l’évolution de l’humanitaire ?
A la faveur de circonstances particulières, le langage humanitaire a pu arriver jusqu’à ce point de folie. Mais, effectivement, ce langage-là, on l’a déjà entendu en d’autres moments, et notamment après le tsunami en Asie du sud-est. On disait alors que des milliers d’orphelins erraient dans les rues, risquant de devenir les proies de rackets pédophiles. Et déjà, des initiatives avaient été lancées en vue de favoriser les adoptions. Heureusement, tout cela avait rapidement tourné court. Mais l’état d’esprit, le cadre, la matrice étaient là. Je pense aussi à un épisode de la guerre en Bosnie : une ONG avait décidé d’amener en France mille enfants bosniaques pour qu’ils passent un hiver à l’abri des bombes. Avec d’autres, notamment les gens de Handicap International, j’avais pris position contre ce projet totalement stupide. Sans succès. En réalité, ces enfants n’étaient pas sous les bombes et surtout, le traumatisme de l’arrachement à la famille et l’angoisse de l’abandon étaient plus violents que le maintien sur place, même dans une situation si dure que la guerre de Bosnie. Bien entendu, nous étions passés pour de mauvais coucheurs qui n’aiment pas les enfants et se fichent de les laisser sous les bombes. Autre exemple, au début des années 90 : des familles en attente d’adoption se sont précipitées en Roumanie après la chute de Ceausescu pour y adopter des enfants placés dans des orphelinats, mais qui n’étaient pas nécessairement des orphelins. C’était un véritable marché aux enfants, choisis par certains en fonction de l’âge, la taille la couleur des yeux. On a même vu des parents ramener des enfants après quelques semaines, parce que quelque chose n’allait pas. Il y avait en quelque sorte un défaut de fabrication. Ils réclamaient le service après-vente. Avec les cas de ce type, on est dans la marchandisation humanitaire intégrale. Tout cela pour dire que l’Arche de Zoé ne sort pas de nulle part et que l’aspect adoption y est important. D’ailleurs, le Congo a décidé d’interdire les adoptions internationales à la suite de cette affaire.
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