je lis que Tony Judt devait faire une conférence anti-israélienne qui a été annulée ; où? au consulat de Pologne, bien entendu. Qui pouvait donner asile à un antisioniste peut être doublé d'un antisémite, sinon des polonais?
Mais bon ; je suis pour la discussion, on affute ses arguments, dans le fond, des tas de gens savent prendre la parole. Cette manière de faire peut donner du grain à moudre à nos ennemis, c'est contre-productif. Je déteste.
----------------
Extrait de L’Arche n°554, avril 2004
Numéro spécimen sur demande à info@arche-mag.com
Reproduction autorisée sur internet avec les mentions ci-dessus
--------------------------------------------------------------------------------
Tony Judt est un universitaire américain prestigieux, d’inspiration libérale. Il a publié un livre important sur les errances et les divagations des intellectuels progressistes attirés par le communisme dans les années 50, notamment Sartre et Merleau-Ponty (Le passé imparfait).
Quand on lit son article, on est saisi par la violence du réquisitoire. Après avoir condamné la politique « fasciste » de Sharon (jusque-là, rien que de très habituel, même si on aurait aimé un peu plus de subtilité dans l’analyse), il établit un lien entre cette politique et l’idée même d’État juif, passant ainsi de l’anti-sharonisme à l’antisionisme. On pourrait, là encore, se dire qu’il ne s’agit que d’une résurgence de l’accusation « sionisme = racisme ». Mais ce qu’il y a de nouveau, c’est que, jusqu’à Tony Judt, cette accusation était l’apanage de l’extrême gauche. Désormais, des libéraux se joignent au chœur.
Et Tony Judt ne s’arrête pas là. Il va jusqu’à la mise en cause, troisième étape de ce parcours de l’animosité, de l’être juif comme tel, « dans un monde où les nations et les hommes se mêlent de plus en plus et où les mariages mixtes se multiplient, où les obstacles culturels et nationaux à la communication se sont presque effondrés, où nous sommes toujours plus nombreux à avoir des identités électives multiples et où nous nous sentirions affreusement gênés s’il nous fallait répondre à une seule d’entre elles ». Les Juifs étaient des personnes déplacées sur une planète divisée en nations. Ils le sont maintenant sur une planète unifiée par la société civile internationale. Par trois fois, Tony Judt taxe d’anachronisme l’obstination du « peuple à la nuque raide ». Cette accusation m’a rappelé une phrase admirable de Lévinas : « Le souci de se conformer à son temps n’est pas un impératif suprême de l’humain mais déjà l’expression caractéristique du modernisme lui-même ».
Le grief meurtrier d’anachronisme, c’est-à-dire d’existence sans ticket, poursuit les Juifs depuis des siècles. La première de ses manifestations est liée à la Nouvelle Alliance. Votre mission est finie, pourquoi persistez-vous dans l’être ? Je ne dis pas que le christianisme tout entier s’est constitué à partir de cette injonction ; mais l’antijudaïsme chrétien y a trouvé son fondement.
L’anachronisme de la particularité juive a ensuite été dénoncé au moment de la Révolution française et de l’Émancipation, à travers le concept d’homme universel. Le philosophe Fichte a ainsi affirmé, dans ses Considérations sur la Révolution française, que « pour résoudre la question juive, il faudrait couper la tête un beau soir de tous les Juifs et remplacer leur tête juive par une tête d’homme ».
Et enfin, troisième forme d’anachronisme, l’existence nationale. À l’époque du grand mélange planétaire, les Juifs ont le droit et même le devoir d’être cosmopolites. Ce qui est désormais anachronique en eux, c’est le sionisme et l’obstination à constituer un peuple distinct.
Pour conclure, Tony Judt propose une solution alternative : l’établissement d’un « État binational ». Selon lui, seule la dissolution d’Israël mettra un point final à la politique fasciste de l’État juif.
Cette argumentation - qui ne manque pas, par ailleurs, de reprocher aux Américains de s’être mis « au service d’Israël », faisant ainsi renaître la mise en cause simultanée du séparatisme et de l’omnipotence des Juifs - est parue dans la New York Review of Books puis aujourd’hui dans Le Débat. Ces deux revues se flattent de ne publier que des gens de bonne compagnie.
http://www.col.fr/arche/article.php3?id_article=12