Mauvais présage pour l’année 2007
Pour faire de Saddam Hussein un martyr, de ce bourreau une victime, et de ce despote un saint, il ne fallait rien de moins que la démente et lourdaude inconscience des Américains. Corrigeons : d’une administration américaine enfin désavouée par le peuple. Mais pour le monde sunnite et pas seulement, on peut le parier, ce sont les Américains qui auront laissé faire, sinon organisé, l’exécution de Saddam Hussein au terme d’un procès bâclé, partisan et, dans la forme, complètement illégal comme l’a montré Robert Badinter, toujours attendu et toujours présent dans ces cas-là. (1)
Ces hordes haineuses de chiites fanatiques qui ont voulu empêcher le condamné à mort de faire sa dernière prière relèvent d’un aveuglement primitif. Et cela tandis que, pour célébrer la fête de l’Aïd, les fidèles égorgeaient pour leur part les moutons, rappelant le choix de Dieu de ne pas sacrifier le fils d’Abraham. La tête du tyran qui, en s’affaissant, symbolise le sacrifice, n’est plus différente de celle du mouton sacrifié. J’entends déjà des alliés de George Bush déclarer tranquillement que les autorités américaines de Bagdad ont voulu laisser les Irakiens libres de s’expliquer entre eux. C’est un peu ce que Sharon avait dit après avoir laissé les milices maronites venger leur président assassiné en massacrant les Palestiniens de Sabra et Chatila en 1982. C’est aussi oublier, et avec quel cynisme, que les grands idéologues et la glorieuse stratégie des Bush, Rumsfeld, Cheney et autres prétendaient apporter la paix en libérant le peuple irakien dans son entier de la dictature.
Sans doute les Kurdes s’estiment-ils libérés et assez autonomes pour ne pas être tentés par la barbarie. Mais ce qui se passe chez les chiites et qui était prévisible n’est imputable, en définitive, qu’à l’irresponsabilité de l’occupant. Ce qui se passe aujourd’hui – la guerre civile – a ceci de scandaleux qu’il suscite un regret de l’ordre totalitaire et sanglant de Saddam Hussein et qu’il discrédite toutes les ambitions démocratiques venant de l’Occident. Ceux qui disent qu’une page est tournée et que le sang sèche vite ont en général raison parce que l’histoire n’est pas seulement tragique, elle est cynique. Mais cette fois, c’est moins sûr.
Il se peut que les gouvernements arabes soient conduits, par peur des Iraniens, à se rapprocher des Américains qu’ils détestent, et même que ces gouvernements se découvriront des intérêts communs avec Israël. Mais le divorce avec les opinions publiques peut alors devenir explosif. On va avoir des tentations de guerre sainte, non contre les infidèles et les croisés, mais contre tous les hérétiques ou prétendus tels dans les camps musulmans ennemis. Certaines personnalités arabes, notamment en Arabie Saoudite et en Egypte, ont décidé de voir les Iraniens, et non pas seulement les Américains, derrière les déferlements de haine lors de l’exécution de Saddam Hussein. Ils ont sans doute tort. Les Iraniens avaient plutôt intérêt à voir se pacifier un Irak dominé par les chiites et qu’ils pouvaient contrôler. Mais comment, aujourd’hui, pourraient-ils jouer ce rôle de pacificateur auquel les ont invités successivement Jacques Chirac, Romano Prodi et James Baker ? C’est dans la confusion sanglante que cette année 2007 s’ouvre, comme baptisée, dans ces régions du monde, par une malédiction.
(1) "Le Journal du Dimanche", 31 décembre 2006
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