PAR Michel Gurfinkiel.
En 1933, les étudiants d’Oxford refusaient de se battre contre Hitler. En 2008, ils pataugent dans l’anti-israélisme.
En 1933, Hitler venait de prendre le pouvoir en Allemagne. Le Reichstag avait été incendié. Les opposants de toute couleurs – communistes et socialistes, bien sûr, mais aussi démocrates et catholiques – avaient été jetés dans des camps de concentration. Les Juifs avaient perdu leurs droits politiques, civils, sociaux. Des autodafés de livres avaient été organisés dans les universités les plus prestigieuses. Les meilleurs esprits, de Thomas Mann à Albert Einstein, et de Fritz Lang à Stefan George, prenaient le chemin de l’exil. L’Allemagne entière se mettait à marcher au pas ; n’importe qui pouvait entrevoir, derrière les cohortes de SA en chemise brune défilant torches en main, la future Wehrmacht et les futurs Waffen SS. Ce fut le moment que choisit l’association des étudiants de l’université d’Oxford, en Angleterre, pour déclarer solennellement que ses membres ne se battraient en aucun cas, à l’avenir, « pour le Roi et pour la patrie ».
Il y a plusieurs leçons à tirer de cet épisode malheureux. La première, c’est qu’on peut appartenir à un milieu intellectuel prestigieux et ne rien comprendre au monde réel, ou même refuser de le regarder en face.
La deuxième leçon, c’est que les leçons du passé pas toujours la portée qu’elle devraient avoir. C’est bien de comprendre les fautes d’hier, mais c’est mieux de comprendre qu’hier n’est pas aujourd’hui et encore moins demain. En se déclarant contre la guerre en 1933, les étudiants d’Oxford pensaient avant tout – et on peut les absoudre sur ce point - au conflit précédent, l’absurde tuerie de 1914-1918. Mais ils ne voyaient pas – ou se refusaient même à poser comme une simple hypothèse – qu’un conflit d’une toute autre nature se préparait.
La troisième leçon, c’est que la faiblesse morale attire le malheur. Les témoignages des hiérarques nazis concordent : la déclaration des étudiants d’Oxford convainquit Hitler de la dégénérescence des démocraties et l’encouragea à aller d’agression en agression jusqu’à la guerre totale.
La quatrième leçon, c’est que les intellectuels comprennent si peu le monde réel qu’ils sont parfois capables, quand celui-ci les rattrape enfin, de réactions saines, dont ils sont eux-mêmes étonnés. La plupart des signataires de la déclaration de 1933 soutinrent la capitulation de Munich en 1938 amis firent leur devoir, en tant que Britanniques et en tant qu’hommes, à partir de 1939.
Si j’évoque aujourd’hui Oxford 1933, c’est parce qu’Oxford 2008 vient de prendre la relève. La même association d’étudiants a débattu, cette fois, d’Israël. En invitant Norman Finkelstein, universitaire américain d’origine juive spécialisé dans l’anti-israélisme radical, et Ted Honderich, professeur à l’University College de Londres, qui partage presque exactement les mêmes idées. Un vote, à l’issue de cette confrontation entre clones, devait dire si Israël avait le droit d’exister. Par 100 voix de majorité, c’est à dire d’extrême justesse, ce droit a été confirmé. Non pas à la suite d’une mobilisation des véritables amis d’Israël, mais simplement parce que Finkelstein et Honderich, en fins rouliers de l’intellect, et soucieux de ménager leur réputation à très long terme, ont brouillé les pistes. Le premier a soutenu la motion pour le droit d’Israël à l’existence – avant de voter contre. Le second s’y est opposé – avant de proclamer que ce débat était « une farce ».
Conclusion provisoire : nous sommes en 1933 ; les Hitler d’aujourd’hui tablent sur la lâcheté mentale de l’Occident démocratique ; un redressement ultime n’est pas exclu, mais à condition d’y travailler sans relâche.
source : Michel Garfunkel