Après la récente décision de la 11ème chambre de la Cour d’appel de Paris, une nouvelle péripétie du cauchemar médiatique en quoi consiste l’« énigme Mohamed Al Dura », est ouverte. Enderlin et France 2 ne manquent pas d’y plonger, puisqu’ils refusent de reconnaître que, de l’investigation de Nahum Shahaf à la critique de Karsenty, en passant par ma contre-expertise, il est légitime de déconstruire l’argument de l’authenticité du meurtre du petit Mohamed, le 30 septembre 2000, à Netzarim, devant la caméra de France 2 et d’elle seule.
Pourtant, depuis bientôt huit ans, c’est le principe de réalité qui est entamé : proclamation d’un meurtre sans balles ni sang, confusion entre un cadavre d’enfant et le corps d’un enfant qui bouge, acceptation qu’un homme criblé de balles puisse, quelques jours plus tard, faire le tour du monde arabe sans manifester la moindre souffrance physique, reconstruction de ce qui est proféré par le caméraman en un oracle qui vaut jugement de réalité, déni du démenti (voire du désaveu) du même caméraman, etc.
Cette fuite devant le traumatisme de la réalité qui a été préalablement remplacée par un cauchemar éveillé est un des phénomènes les plus inquiétants de la morale civilisée dans une société de culture mondialisée comme la nôtre. Ce qui se passe avec l’« énigme Mohamed Al Dura » est, certes, exemplaire, mais ce type de phénomène confusionnel est consubstantiel à la représentation médiatique du monde. Dans ce monde, la réalité n’est jamais spontanée, elle doit correspondre à un scénario. Il y a là une perte de confiance fondamentale dans ce que l’homme, la femme et l’enfant ordinaires ressentent, chaque jour, dans leur propre rapport à l’épreuve de réalité.
Si j’appelle à la constitution d’une commission d’enquête internationale, ce n’est pas seulement pour que la vérité de tous les faits soit établie et que le cauchemar médiatique prenne fin, mais pour renforcer le courage de chacun à se confronter à la déformation traumatique de la réalité.
© Gérard Huber *
* Gérard Huber est psychanalyste. Il a joué un rôle important dans l’analyse et la clarification de l’affaire al-Dura, en particulier par son livre, Contre-expertise d’une mise en scène (2003). Il s’exprime sur ce sujet et sur bien d’autres dans son blogue.
Mis en ligne le 23 mai 2008, par M. Macina, sur le site upjf.org
http://www.debriefing.org/26371.html