Ni fiers ni dominateurs
Par Roger Cukierman (*)
01/09/08
imprimer cet article envoyer à un ami
- - Thème: Divers
Roger Cukierman, qui précéda Richard Prasquier à la présidence du CRIF, de 2001 à 2007, se penche sur son passé et nous livre ses souvenirs. Par delà ses « années CRIF », l’auteur nous offre, dans un texte alerte et agréablement écrit, une réflexion précieuse sur les grands problèmes de notre temps. On découvre, au fil des pages, combien la présidence de la grande institution nationale qu’est devenue le CRIF au fil des ans, peut ouvrir de portes, en France comme à l’étranger et, partant, l’importance qu’accordent tous les leaders politiques à l’avis de la communauté juive, de ceux que Roger Cukierman aime appeler les Français juifs.
Originaires d’Ozarow, petit village polonais situé à une centaine de kilomètres de Varsovie, les Cukierman disparaîtront, pour une grande part, dans les fours crématoires de Treblinka. Le père de Roger, Chil Majer, dit Max, étudiant de yeshiva et futur boutonniériste, fuyant la misère et l’antisémitisme endémique, préfère l’exil et rejoint la France en 1932. C’est là que naît, dans le 19ème arrondissement de Paris, en 1936, le petit Roger. Enfant caché pendant les années noires de l’Occupation, il devra changer de patronyme et se transformer en bon petit chrétien.
Très jeune, quelques années après la Libération, Roger Cukierman va découvrir sa vocation : la haute finance, un domaine qui le conduira rapidement aux commandes du groupe financier dirigé par Edmond de Rothschild dont il sera plus tard l’exécuteur testamentaire.
2000. Le tournant du siècle et du millénaire. Une vague d’antisémitisme d’un nouveau genre balaye la France. Dans les banlieues où vivent des milliers de Juifs, souvent de petites gens, des bandes de jeunes, pour la plupart d’origine afro-maghrébine, sur fond d’Intifada et sous le prétexte fallacieux de solidarité avec les Palestiniens, attaquent des enfants juifs à la sortie des écoles. Des synagogues brûlent, des écoles reçoivent des cocktails Molotov, des rabbins sont agressés. A Paris et dans les banlieues tout comme en province, l’insécurité s’étend et il ne fait pas bon exhiber une kippa ou une étoile de David. Le 7 octobre 2000, lors d’une manifestation pro-palestinienne, entre la Bastille et la République, on entend des cris de « Mort aux Juifs ». Au moment, précisément, où Roger Cukierman s’apprête à profiter d’une retraite bien méritée. Dès lors, parce que « notre histoire démontre que quand les Juifs sont menacés, quand des tombes sont profanées, c’est la liberté qui est en danger », sa décision est prise : membre depuis quelques années du Bureau Exécutif du CRIF, l’organe de représentation politique du judaïsme français créé en 1943, il décide d’en briguer la présidence. Et ce coup d’essai est un coup de maître : le 13 mai 2001, il est élu pour trois ans et sera reconduit dans ses fonctions en 2004.
Au cours de ses six années de mandature, ce président qui n’a pas sa langue dans sa poche, considère qu’il est légitime de « revendiquer le droit de critiquer son gouvernement » et que l’on peut tout à la fois aimer la France et Israël sans être taxé de tenant de la double allégeance. Pour le nouveau président, nous devons revendiquer énergiquement le droit d’être défendus et protégés car « nous sommes las du rôle de victimes ». Et Roger Cukierman saura le dire, haut et fort, notamment lors des fameux « Dîners du CRIF », à toute la classe politique, de droite comme de gauche, députés, sénateurs, ministres, présidents de la République.
« Nos objectifs sont limpides et républicains. Ils ne vont à l’encontre ni des intérêts nationaux ni des valeurs de paix, de liberté et de justice » clame Roger Cukierman. Et c’est en brandissant le drapeau français et en chantant La Marseillaise qu’à son appel, le 7 avril 2002, deux cent mille Français arpenteront les pavés de Paris et des grandes villes du pays. Lutte contre l’antisémitisme, défense du droit d’Israël à l’existence et à la sécurité, action contre la nucléarisation militaire de l’Iran, mais aussi volonté de voir Jérusalem reconnue comme capitale de l’Etat juif ou encore de voir Israël rejoindre l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Sur la plupart des hommes politiques qu’il a côtoyés aux cours de six années particulièrement denses, l’ancien président du CRIF nous donne un éclairage nouveau et un avis pertinent. Ainsi, parmi bien d’autres, « Lionel Jospin est un homme de cœur, d’une parfaite sincérité. Il n’a malheureusement pas pris la mesure de la gravité de la situation, probablement mal informé. Il est aussi influencé par sa conception d’une France laïque où les différences de religion ou d’origine doivent s’effacer et faire disparaître les tendances communautaristes auxquelles il est allergique », « Nicolas Sarkozy est l’un des rares hommes politiques capables de vous mettre immédiatement à l’aise et de vous donner le sentiment que vous êtes son ami intime…Ses opinions sont tranchées et parfois brutales », Philippe Douste-Blazy « est un homme à multiples facettes, capable de surnager dans les eaux les plus difficiles du monde politique », Bertrand Delanoë « est un homme au contact chaleureux, au tutoiement immédiat et un excellent orateur qui ne lit pas ses discours. Il est à la fois l’ami des juifs et des musulmans ». Jacques Chirac, enfin, avec lequel la relation aura été pour le moins tumultueuse : « Je crois que son goût pour le rôle de leader du tiers-monde l’a amené à être plus proche des idées généralement acceptées à gauche. En résumé, l’homme de cœur l’emporte probablement sur l’homme d’Etat ».
Un témoignage de première main sur six années essentielles de la vie de notre pays, de la communauté juive et d’Israël.
Un cahier de photographies agrémente cet ouvrage d’une excellente qualité dont on ne peut que recommander la lecture
Jean-Pierre Allali
(*) Editions du Moment. Septembre 2008. 276 pages. 19,95 euros.