Remise en question du traité de paix israélo-égyptien Par Daniel Pipes le 24/11/2006 (125 lectures) - Articles du même auteur
Pas moins de 92 % des personnes interrogées lors d'un récent sondage auprès de 1 000 Egyptiens âgés de plus de 18 ans qualifient Israël d'Etat ennemi. Et seuls 2% le considèrent comme "un ami de l'Egypte". Cette attitude hostile revêt de nombreuses formes, dont une chanson populaire intitulée « Je hais Israël », des caricatures politiques violemment antisémites, des théories conspirationnistes et des attentats terroristes contre des touristes israéliens.
Le principal mouvement démocratique égyptien, Kefaya, a récemment lancé une initiative visant à réunir un million de signatures pour demander l'annulation du traité de paix israélo-égyptien de 1979.
D'autre part, le gouvernement égyptien a permis la contrebande d’armes vers la bande Gaza. Youval Shteinitz, un législateur israélien spécialisé dans les relations israélo-égyptiennes, estime que 90 % des explosifs de l'OLP et du Hamas proviennent d'Egypte.
Le Caire n'a aucun ennemi apparent, mais l'Etat égyptien, pourtant appauvri, engloutit d'immenses ressources dans son équipement militaire. Selon le service de recherche du Congrès, il a acquis des armes étrangères pour 6,5 milliards de dollars entre 2001 et 2004, ce qui fait de lui le premier importateur d’armes dans l’a région.
Pendant la même période, le gouvernement israélien a consacré 4,4 milliards de dollars et l'Arabie Saoudite 3,8 milliards à l'achat d'armements. L'Egypte est le troisième plus important importateur d'armes parmi les pays en voie de développement, après la Chine et l'Inde. Le pays possède la dixième plus grande armée permanente du monde, largement plus de deux fois plus grande que celle d'Israël.
Cette longue série de marques d'hostilité se déroule en dépit de l'existence d'un traité de paix avec Israël, présenté à l'époque comme "un tournant historique" tant par le président égyptien Anouar el-Sadate que par le Premier ministre israélien Menahem Begin. Le président américain Jimmy Carter espérait inaugurer une nouvelle ère, durant laquelle "la violence cesserait de dominer au Moyen-Orient". Et moi aussi, je partageais alors cet enthousiasme.
Cependant, avec le recul, nous pouvons constater que le traité s'est révélé nuisible à au moins deux titres. D'abord, il a permis à l'Egypte d’importer de l’armement américain ainsi que des financements pour des armes ultramodernes. Pour la première fois dans l'histoire du conflit israélo-arabe, une armée du Moyen-Orient pourrait avoir atteint l'égalité des forces avec Israël.
Ensuite, ce traité a stimulé l'antisionisme. J'ai vécu durant près de trois ans en Egypte dans les années 1970, avant le voyage spectaculaire de Sadate à Jérusalem, à la fin de l'année 1977, et je rappelle l'intérêt très limité pour Israël qui régnait à l'époque. Israël faisait régulièrement l'actualité, mais n'alimentait guère les conversations. Les Egyptiens semblaient satisfaits de pouvoir déléguer ce problème à leur gouvernement. Ce n'est qu'après la signature du traité, que de nombreux Egyptiens ont considéré comme une trahison, qu'ils ont commencé à s'y intéresser directement. Il en a résulté l'émergence d'une forme d'antisionisme plus personnelle, plus intense et amère.
Le même phénomène a pu être observé en Jordanie, où le traité de 1994 avec Israël a fait tourner à l'aigre l'humeur de la population. Dans une moindre mesure, les accords palestiniens de 1993 et même le traité libanais avorté de 1983 ont déclenché des réactions similaires. Dans ces quatre cas, les accords diplomatiques ont provoqué une poussée d'animosité envers Israël.
Les défenseurs du "processus de paix" répliquent que le traité a bel et bien été respecté, malgré les attitudes hostiles des Egyptiens et l'importance de leur arsenal. Le fait est que Le Caire n'a pas fait la guerre à Israël depuis 1979. Il s’agit d’une paix très froide.
Ce à quoi je réponds que si la simple absence de guerre ouverte doit être qualifiée de paix, alors la paix a également prévalu entre la Syrie et Israël pendant des décennies, en dépit d'un état formel de guerre. Damas n’a pas de traité avec Jérusalem, mais elle n'a pas non plus d’armement moderne américain. Une signature d'une époque révolue sur un morceau de papier compense-t-elle vraiment les chars Abrams, les avions de combat F-16 et les hélicoptères d'attaque Apache ?
Je ne le pense pas. A posteriori, il est évident que la diplomatie israélo-arabe s'est nourrie d'idées fausses et de prévisions irréalistes, selon lesquelles :
- Les accords, une fois signés par des dirigeants arabes non élus, convaincraient les masses de renoncer à leur ambition d'éliminer Israël.
- Ces accords seraient permanents, sans récidive, ni duplicité.
- D'autres Etats arabes allaient forcément suivre cet exemple.
- L'issue de la guerre peut être conclue par la négociation, plutôt que par la défaite d'un camp.
L'heure est venue d'admettre que le traité israélo-égyptien – présenté usuellement comme le titre de gloire et le couronnement de la diplomatie israélo-arabe – est un échec consommé et d'en tirer les conclusions qui s'imposent afin de ne pas répéter les mêmes erreurs.
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