La Palestine et le sionisme
Henri Curiel, assassiné en France (je ne sais plus quand), très importante figure de la gauche, juif, égyptien, et que tout le monde prétend antisioniste?
Antisioniste, c'est ce qui arrange certains, des voleurs de mémoire.
27La Palestine fournit sans nul doute une des clés de la perception égyptienne contemporaine d'Henri Curiel.
L'acceptation du plan de partition de la Palestine puis de la création de l'État d'Israël reste en quelque sorte le « péché originel » du mouvement communiste égyptien. La présence notable de dirigeants juifs à la tête du mouvement apparaît à la plupart des intervenants du débat comme indissociable du choix d'une telle position.
28L'accusation de « sionisme » à l’encontre de Curiel est assez répandue. Ainsi s'attache-t-on à montrer ses liens, anciens, avec les courants sionistes. Un auteur considère que « les rapports d'Henri Curiel avec le sionisme demeurent un sujet de controverse au sein du mouvement communiste en Égypte » (al-Mutî’î, p. 45). Son appartenance à une organisation sioniste est même affirmée sans plus de précision, Curiel figurant, nous dit-on, parmi les adhérents « les plus notoires de ce mouvement sioniste nommé Darûr, qui donna à ses membres le choix d'adhérer au PCF, au PC israélien (Makî) ou au Mouvement Haditu » ('Abdû 'Alî, p. 228-29).
Ses contacts remonteraient à la seconde guerre mondiale, par le truchement de soldats sionistes qui appartenaient aux troupes anglaises stationnées en Égypte. Sa librairie du centre ville, « Le Rond-Point », aurait facilité l'établissement de tels contacts avec ces soldats ('Abbâs [a], p. 24) ou des militants d'organisations sionistes (al-Mutî’î, p. 45). Il aurait, dès cette époque, commencé à entretenir des « liens étroits » avec un membre de la Hagana ('Abbâs [c], p. 45). En prison, en 1948, il aurait collaboré avec des militants sionistes ('Abbâs [c], p. 43). Ibrâhîm Fathî reprend même à son compte l'accusation lancée en 1981 par l'agence de presse soviétique Novosti, selon laquelle Curiel aurait été un « agent sioniste » (Fathî, p. 11).
29Ses analyses sur la Palestine, le sionisme et la création de l'État d'Israël sont essentielles dans ce débat. Ainsi dit-on que Curiel refusa de choisir entre les deux camps en présence, renvoyant dos à dos mouvement sioniste et mouvement national palestinien et rejetant les termes d’« agression sioniste » ('Abbâs ).
ll qualifia d’« injuste » et d'« impérialiste », dit-on encore, la guerre de 1948 contre l'État d'Israël nouvellement proclamé ('Abbâs [a], p. 76). A travers cette guerre se manifestaient selon lui les bienveillantes dispositions de la Grande-Bretagne envers ce qu'il nomma la « réaction arabe ». Il appela donc au retrait des troupes britanniques de la zone du canal et à l'abstention de l'Égypte dans ce conflit, position considérée comme une preuve de sa complaisance, sans parler de sa sympathie envers le sionisme et l'État d'Israël.
30Une autre conception assez répandue voudrait que Curiel ait été favorable à la partition de la Palestine tandis que son grand rival, Hilel Schwartz, aurait, lui, activement dénoncé le sionisme, agissant pour la création d'une Ligue juive de lutte contre ce mouvement (Bakr, p. 55). L'on dit que Curiel était opposé à ce projet, car hostile à toute forme de critique du sionisme (Fathî, p. 19), et considérant l'action anti-sioniste comme faisant le jeu de l'impérialisme ('Abbâs [a], p. 41). « Il dénonça ceux qui, dans les rangs du mouvement communiste, cherchaient à diminuer le soutien à Israël, les qualifiant, entre autres, d'opportunistes et de petits bourgeois. » (Mûrû. p. 16)
31Le départ des militants juifs égyptiens fournit un autre sujet de controverse : « La plupart (...) partirent pour Israël après avoir quitté l'Égypte en 1949, à l'exception de quelques individus, puis gagnèrent Paris pour travailler avec Curiel dans le cadre du Groupe de Rome. » ('Abbâs, [b]) Cette affirmation est catégoriquement rejetée par l'un des acteurs de cet épisode : « Tous les membres du Groupe de Rome, sans exception, partirent directement pour l'Europe et y demeurèrent sans passer par Israël. » (Hazân, p. 444) [b]Très peu d'auteurs insistent sur le fait que le soutien à la partition de la Palestine et à la création de l'État d'Israël a été quasi général chez les communistes. Cet alignement mécanique sur la position choisie par l'URSS de Staline est en quelque sorte systématiquement minimisé. Un dirigeant juif comme Curiel peut, dès lors, être présenté comme celui qui joua un rôle décisif dans la reconnaissance de l'État d'Israël par les communistes égyptiens.
32Les effets de ses activités ultérieures, principalement en ce qui concerne les contacts et le dialogue entre Israéliens et Palestiniens, sont très nets dans les lectures rétrospectives effectuées à propos de son parcours. Par exemple, on dénonce le fait qu’« il joua un rôle important dans le rapprochement entre les institutions israéliennes et une composante traître de l'OLP » (Mûrû, p. 16). L'existence de ces contacts pendant la guerre apparaîtrait presque comme la première prise de contact israélo-arabe ! L'article de Ra'ûf 'Abbâs dans al-Hilâl est, à cet égard, assez symptomatique. Les contacts de Curiel avec 'Isâm Sartâwî, émissaire de Yasser Arafat dans les années 70, l'existence d'une correspondance avec un mystérieux « Elie » du PC israélien, ou le mystère planant sur les rôles respectifs de R. al-Sa'îd et Yûsuf Hazân dans les « rencontres pour la paix » occupent une place importante — disproportionnée, pourrait-on dire — dans un débat qui est censé porter sur l'histoire du mouvement/communiste égyptien et le rôle d'Henri Curiel dans celui-ci. Cette tendance à appréhender l'itinéraire d'Henri Curiel, responsable communiste en Égypte à travers ce prisme « a-historique » est véritablement prégnante dans ce débat, avec, en toile de fond, toutes les « passions » suscitées par la question palestinienne.
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