Chez moi, on ne parlait pas de cela. Ou plutot, mes parents n'en parlaient pas. Par contre, ma grand-mere, qui avait ete cachee durant les quelques mois ou les Croix-Flechees hongroises se dechainerent, elle, qui par elle-meme n'avait rien vu, mais qui avait perdu presque tous les siens, nous racontaient tout, sans rien omettre, aux petites tetes brunes (ma soeur et moi). Et jusqu'aujourd'hui, tous deux, sexagenaires, nous sommes au camp presque chaque nuit.
Je me rappelle, enfant, je prenais la ligne de metro Nation-Etoile dont une partie est aerienne. En passant a cote de l'hopital Lariboisiere, je pouvais distinguer une cheminee metallique en cone renverse, batie a un coin de l'hopital (je ne sais pas si cela existe encore) et je m'imaginais que c'etait un four crematoire. A chaque fois, je detournais la tete. Lorsque mon pere fut hospitalise la-bas, ma mere ne comprenait pas pourquoi je ne voulais pas aller voir mon pere. Je m'y forcais, mais c'etait un veritable cauchemar.
Et quand je prenais le train, et que je voyais ces wagons de marchandises, je ressentais toujours un malaise diffus.
Beaucoup ont perdu la foi dans ces camps, d'autres l'ont garde. On ne peut pas en faire une typologie ni encore moins essayer de comprendre.
Mon pere, lui, a cesse de croire. Ma mere, elle, n'a jamais cru. Ma grand-mere est devenue encore plus orthodoxe, tatillonne meme. C'est la seule que je regrette, c'est dur a ecrire, mais c'est la verite.