Les traîtresC’était donc ça ? Une vie de
Glucksmann ? Seulement ça ? Une vie pour les droits des autres ? Une vie prête à bondir, quand il le fallait, quand il n’y avait plus d’autre choix ? Et ça finit si bas, si piètre. Ca finit, dans une tribune (le
Monde du 30 janvier 2007), par appeler à voter
Sarkozy.
Glucksmann : «
Nicolas Sarkozy est le seul candidat aujourd’hui à s’être engagé dans le sillage de cette France du cœur. » Comment ose-t-il ? Après les quotas de sans-papiers, l’appel à la dénonciation des enfants étrangers dans les écoles, les rafles organisées par cette police que, depuis l’Occupation, le monde entier nous envie. Le ministre des rafles ! Comment Glucksmann, si soucieux par le passé des droits de l’opprimé, du dissident, du boat people, peut-il finir aussi courbé devant un discours obnubilé par la seule conquête du pouvoir, truffé de mensonges, de calculs, d’hypocrisies ? Quelle sinistre plaisanterie !
Oublié, le Kärcher ? Oubliée, l’hystérie verbale, la rhétorique montée sur ressorts du ministre Sarkozy ? Oublié, l’oubli de la banlieue, ce revers de la médaille Sarkozy que les associations, sur le terrain, refusent désormais d’astiquer ? La banlieue, son plus patent échec. Des mots, du creux, du verbe, est-ce tout cela qui plaît tant à Glucksmann, tout ce vent qui le fait tourner girouette, dernier abusé nigaud de la manière politique de Sarkozy ? Oubliés, les sales coups par en dessous, la mise à genoux des médias, la reprise en main générale de la parole publique, via ses plus populaires canaux, qui en dit long sur ce qui nous attend, cette mise à la sauce Neuilly, Neuilly sous surveillance, de notre démocratie ?
Glucksmann vote oui. Oui au Kärcher. Oui au mépris des masses et des intellectuels, de la presse et des médias. Oui au verbe creux érigé en parler-vrai. Oui à la gesticulation considérée comme un système de séduction. Oui à l’aboiement tenant lieu de rhétorique. Il en redemande, même : il veut du bruit, du Sarkozy, beaucoup de bruit pour beaucoup de rien.
Et Glucksmann n’est pas seul. Les autres, par ordre d’entrée en scène :
Pascal Bruckner,
Marc Weitzmann (ancien journaliste aux
Inrocks),
Max Gallo (ex-homme de gauche, écrivain (?) souverainiste). Un vrai sapin de Noël ! Même
Yasmina Reza, qui, dans la dernière émission de
Giesbert, embrassait aussi cette cause, avec la langue. Un ancien porte-parole de gouvernement, mauvais romancier qui prit d’abord une chambre chez
Chevènement (lequel sert, on le voit mieux aujourd’hui, de trampoline permettant à certains de faire le grand saut, de la gauche à Sarkozy). Un essayiste opportuniste, théoricien de la déculpabilisation de l’Occident ; un ancien journaliste en rupture de journal, qui se rêve en
Philip Roth, et qui voudrait donc, pour y croire un peu plus, une Amérique autour de lui. L’Amérique est leur idéal. Le libéralisme, leur théière. Sarkozy, leur sachet.
Ils ont une revue : le
Meilleur des mondes (publiée chez Denoël). Au sommaire du dernier numéro (automne 2006), un entretien, justement, avec Sarkozy. Qui se livre, en matière de politique étrangère, à un numéro d’illusionniste qu’avalent, à pleins bols, leurs endormis interlocuteurs. Ce ne sont pourtant pas les perles, les flous, les lieux communs qui manquent : «
On n’avait pas prévu l’émergence du sentiment national des Kosovars, des Monténégrins, des Bosniaques, des Slovènes, des Croates. » Enormité ! Tous les experts, depuis le début du conflit en ex-Yougoslavie, connaissaient l’existence d’un tel sentiment. «
Si la France veut continuer à être un phare pour l’humanité, elle doit continuer à parler. Si elle se tait, c’est le phare qui s’éteint. » Et allez donc ! Le robinet à truismes ! «
Il y a des tas de gens qui pourraient être libres mais qui ne le sont pas car ils n’en ont ni l’énergie ni l’envie. » «
Je pense que ce qui enferme un homme, ce sont moins les barrières juridiques, politiques, sociales, culturelles, que le déficit d’envie. »
Flou dans tous les domaines de la politique extérieure (alors que
Strauss-Kahn, interviewé quelques pages plus loin, dans la même revue, se montre d’une solidité et d’une intelligence impressionnantes), Sarkozy l’est aussi dès qu’il aborde les questions culturelles. Il n’a pas le niveau. Indigence qu’il dissimule derrière des coups de mentons rhétoriques («
je veux », «
je vais», «
il n’est pas acceptable que » etc.) Mais il y a pire. Sarkozy ment. Il ment, et Glucksmann gobe. Dernière énormité parmi beaucoup d’autres ? «
Le plein emploi est possible en France. C’est un engagement que je prends.» C’était il y a quelques jours, à Londres, chez
Blair. Le plein emploi, un engagement. La bonne blague ! On se demande ce qu’il promettra la prochaine fois. Transporter Paris au bord de la mer ?
Mais qu’ont-ils tous à se voir en grognards du
Napoléon infime ? Bruckner : «
Il est très courtois, très brillant. J’apprécie ce qu’il dit sur l’éducation ou sur le patriotisme. On a besoin d’un candidat courageux, qui prenne des risques.» Bruckner encore (
Libé du 30 janvier), qui justifie son virage à droite (en voilà un qui n’a pas eu beaucoup de chemin à faire pour se retrouver à l’UMP) :
Hollande «
a dit qu’il n’aimait pas les riches. Je n’aime pas l’hypocrisie des socialistes qui se sont enrichis sous Mitterrand. » Alors que Sarkozy, lui, n’a pas peur de dire qu’il est du bon côté du manche. Autre perle du même : «
N’en doutons pas un instant : si le débarquement de juin 1944 avait lieu aujourd’hui, l’oncle Adolf jouirait de la sympathie d’innombrables patriotes et radicaux de la gauche extrême au motif que l’oncle Sam tenterait de l’écraser. » Relisez bien la phrase. Non, vous n’avez pas rêvé.
Qu’ils partent ! Qu’ils votent et appellent à voter Sarkozy, qu’ils applaudissent, les yeux bandés, à son désir fou de pouvoir. Qu’ils emmènent ailleurs leur bonne-mauvaise conscience d’intellectuels ennuyés dans leur être, fiers d’être blancs, fiers d’être français. Ils ne méritent pas la gauche. Et surtout pas l’idée de la gauche. Comment Glucksmann a-t-il pu trahir cela ? Tous ces maîtres à penser, qui sont derrière lui, pour en arriver là ? Tous ces combats qui l’ont occupé ? Oui, Glucksmann a trahi. Et trahi même pas la gauche mais une vie de révolte et de courage intellectuel. Une vie de Glucksmann. Tous, agenouillés devant Sarkozy. Ne comptez pas sur nous pour soigner les ampoules.