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Défense de toucher à Arthur
Par Yann Moix - Le Figaro
dimanche 15 février 2009
A chacun de ses spectacles, l’humoriste Arthur, comme il en a témoigné dans un article bouleversant publié dans Le Monde, est insulté par des manifestants propalestiniens. Parmi les insultes proférées, il en a retenu quelques-unes. Exemple : « Arthur sioniste, Arthur complice ! » Ça y est, donc. C’est arrivé. Nous sommes dans un pays, la France, où le mot « sioniste » est devenu une insulte.
Pourtant, la véritable insulte, c’est bien que le mot « sioniste » soit devenu une insulte. Le sionisme est un idéal politique, devenu ( ce qui est rare dans l’humanité) une réalité. Le sionisme, c’est une forme politique possible ( pas exclusive) du judaïsme. Le sionisme fut l’utopie de quelques-uns qui, au XIXe siècle, ont décidé que les Juifs avaient eux aussi le droit non seulement d’exister, mais de vivre ; et non seulement de vivre, mais de vivre quelque part. Non plus n’importe où, non plus partout : non plus seulement sur la Terre, mais sur leur terre. Le sionisme est une idée qui peut être discutée, mais au sein du judaïsme lui-même ( et elle l’est !).
Seuls les Juifs ont le droit de se poser la question de savoir si le judaïsme est traduisible, ou pas, dans la langue du politique, de l’histoire, et si le sionisme est, ou non, la meilleure traduction, le meilleur avatar possible de la foi des Pères. Quant au reste du monde, il n’a qu’une chose à faire : respecter le sionisme comme une manière sûre, et on l’espère définitive, de ne plus reléguer le peuple juif à son nomadisme infernal qui, plus d’une fois, a failli le détruire. En aucun cas le mot « sionisme » , le mot « sioniste » ne sauraient être honteux.
L’antisémitisme n’a jamais reculé devant rien ( il a même toujours avancé devant tout) : un des coups de génie, un des coups tordus qu’il est parvenu à réaliser, c’est cet amalgame systématique entre sionisme et nationalisme, puis, tranquillement, avec l’air de ne pas y toucher, entre nationalisme et national-socialisme : Arthur est traité, sur les banderoles, de « complice » , comprenez, mes amis : de collaborateur. De collabo. Les manifestants essaient, c’est très clair, de faire passer dans les moeurs l’équivalence Israël-Allemagne nazie. Retournement insoutenable, symétrie axiale diabolique où le nazisme, ramenant les fils d’Abraham dans son camp, colle encore au destin des Juifs mais, cette fois, en tentant d’en faire des associés, des jumeaux, des semblables : Hitler avait plus d’un tour dans son sac, et le diable sait que la vérité doit sans cesse changer de vérité pour se perpétuer dans les siècles.
Cette abomination est un des visages nouveaux ( il y en a plusieurs, c’est très ramifié, très fin) de l’antisémitisme qui, pour exister, doit muter à mesure que le monde mute, doit muer à mesure que le monde mue. Sionisme, donc, égale nationalisme, égale aussi colonialisme, évidemment : tout le monde sait que le destin d’Israël est de conquérir le monde ! De s’étendre ! De se répandre ! Les « antisionistes » , traduction « politiquement correcte » du mot « antisémites » , ne sont pas très cohérents : d’un côté, ils passent leurs journées à fustiger le communautarisme juif, sa propension à rester fermé sur lui-même ; et, de l’autre, ils entendent faire accroire que les Juifs sont des colons prêts à faire n’importe quoi pour agrandir leur espace vital ( terme nazi, bien entendu). On « accuse » Arthur de « financer l’armée d’Israël » . Il s’en défend. Mais j’ajoute : il aurait parfaitement le droit de la financer. Arthur est juif. Ce qui signifie que, quand les nazis futurs reviendront ( car sous une forme encore inédite, peut-être moyen-orientale, ne doutons pas une seconde qu’ils feront tout pour revenir), lui et les siens seront, comme jadis ses ancêtres, les premiers, oui, les tout premiers sur la liste des suppliciés.
Arthur s’inscrit, comme tous les Juifs du monde, dans une famille dont l’humanité, depuis qu’elle existe, veut la peau. Alors Arthur, même s’il ne le fait pas, même s’il a choisi de ne pas le faire, aurait parfaitement le droit, aurait humainement le droit, sans en rougir, d’aider un État qui, bien que critiquable ( car une défense aveugle de la politique d’Israël n’aurait évidemment aucun sens), est le résultat, le fruit d’une histoire tragique dont la mémoire ne se négocie pas.
Reste la question suivante : pourquoi s’en prendre à lui, lui Arthur, humoriste, présentateur de télévision ( dont on peut par ailleurs, là n’est évidemment pas la question, n’être pas très fan) ? Regardons la logique antisémite à l’oeuvre, voyons comment elle procède :
1) L’armée israélienne a fait des victimes civiles dont des femmes et des enfants.
2) L’armée israélienne, c’est Israël.
3) Israël ? Ce sont les Juifs ( ou sionistes, tout ça c’est pareil).
4) Comme ce n’est pas une guerre, l’armée israélienne, autrement dit Israël, autrement dit les Juifs ne sont pas des combattants, des belligérants ; mais des assassins.
5) Les Juifs ont tous le même sang, par conséquent les Juifs et un Juif c’est la même chose : on dira donc le Juif pour dire les Juifs.
6) Ce qui signifie que n’importe quel Juif pris au hasard est strictement équivalent à tous les autres Juifs, ses semblables. Tout Juif est sosie de tout Juif.
7) Conséquence : Olmert égale Nétanyahou égale Elie Wiesel égale Arthur.
Conclusion : Arthur est un assassin. Mais pourquoi lui ? Parce qu’il a réussi et qu’il est riche, qu’il est célèbre, qu’il a une jolie fiancée ( comme Djamel, non ?), et surtout parce que, humoriste, il est inoffensif.
Pour un antisémite, c’est toujours l’inoffensif qui représente le plus grand danger. On se souvient de Hitler et des enfants juifs : toute l’Allemagne braquée contre des petits enfants ! Je crois bien que jamais je n’oublierai, de ma vie, ces quelques lignes d’Arthur qui, en 2009 ( je répète : en 2009) s’est vu contraint, dans un quotidien national de premier ordre, d’écrire « Je m’appelle Jacques Essebag. Je suis né le 10 mars 1966 à Casablanca. (…) Je suis français. Je suis juif. »
Arthur vient de faire l’expérience fondamentale que tout Juif fait dans sa vie, tôt ou tard : celle de l’irrémissibilité de l’être-juif. Quand on est juif, on est toujours juif d’abord. Et français, canadien ou marocain, ensuite. C’est cela que les Juifs paient tous les jours. Tel est leur destin. C’est de cela, aussi, qu’ils doivent être fiers. Le monde comprendra-t-il, demain, que sans les Juifs il court à sa perte ? Oui : sans les Juifs, nous sommes perdus. Et l’humanité suicidaire le sait. C’est pourquoi, inventant sans cesse des tortures nouvelles, elle continue de les persécuter.