«La vieillesse est un naufrage» aurait confié un jour le Général de Gaulle.
Rien n’est plus faux. Nous connaissons tous des «vieux» parfaitement épanouis qui sont loin d’être des vieillards et qui offrent les bienfaits de leur sagesse aux autres, conscients de ce que leur expérience, même s’ils ne sont pas toujours écoutés, reste néanmoins fort utile.
Mais il est des naufragés volontaires, ceux qui, se sachant au crépuscule de leur vie, décident de déverser ce qu’ils ont accumulé de plus mauvais en eux plutôt que de réorganiser leurs souvenirs dans une structure de pensée positive et bienfaisante aux plus jeunes générations.
C’est un bien mauvais exemple qu’a donné un de ces «vieux-là», ancien Premier ministre, à l’occasion d’une interview sur France-Culture : de la graine de violence lui sortait de la bouche, une haine pure drapée dans un semblant de droit à la liberté d’expression.
Ce n’est pas tant la défense de Maurice Papon, qu’il avait lui-même nommé Ministre du Budget, que l’on trouve choquante. Considérer que le Préfet de Gironde, sous Vichy, n’a fait que «faire fonctionner la France», est certes, plutôt suspect mais après tout, la Justice française a prouvé son désaccord avec cette façon de voir les choses en condamnant Papon à dix ans d’emprisonnement ; et c’est cela qui compte. Le fait que la peine n’ait pas été appliquée comme elle aurait dû l’être est relativement secondaire, tant l’impact pédagogique d’un tel procès compte davantage que la sentence proprement dite.
Ce ne sont pas non plus ses louanges à Bruno Gollnisch, «quelqu’un de bien» et «bon conseiller municipal» qui nécessitent que l’on prenne la peine de vous alerter, chers lecteurs. Là aussi, les propos négationnistes du triste sire ont été désignés indignes par notre justice. Et, encore une fois, l’essentiel a été assuré.
Non, c’est dans le reste de l’interview que le vieil ex-Premier ministre offre l’image la plus hideuse et la plus choquante qui soit, indigne de quelqu’un qui a représenté la République au plus haut sommet.
Rappel des faits :
Le 3 octobre 1980, se tenait, dans un arrondissement huppé de Paris, une réunion d’anciens Auvergnats dans une salle publique. Un illuminé vouant une haine irrationnelle aux Auvergnats avait placé une bombe réglée pour exploser à la sortie de la réunion, programmée pour tuer une centaine d’Auvergnats. En raison du retard de trente minutes pris par la réunion, l’explosion ne tuera finalement «que» quatre personnes dont trois non-Auvergnats qui passaient dans la rue.
Le Premier ministre de l’époque, Raymond Barre donc, avait déploré la mort de «Français innocents» en parlant des passants tués, déniant ce statut d’innocence à la seule victime auvergnate. On se rappelle que ses déclarations avaient choqué la communauté auvergnate, découvrant qu’elle était, dans l’esprit du Premier ministre, déconnectée de la nation française. Mais cette offuscation n’avait pas dépassé les limites du Puy-de-Dôme et de l’Allier.
Vingt-sept ans après, il persiste et signe. Au journaliste qui lui demande s’il regrettait ses propos, il choisit de dénoncer la machination du «lobby auvergnat [de l’époque] le plus lié à la gauche» en période préélectorale. Il confirme également la pertinence de la distinction entre «Français innocents» et Auvergnats coupables, au moins aux yeux de l’auteur de l’attentat, ce qui suffit, selon lui :
- à prouver une part de culpabilité des Auvergnats.
- à en faire des sous-Français moins estimables que les non-Auvergnats.
D’ailleurs, rappelle-t-il, «les Français n’étaient pas du tout liés à cette affaire… Aucun de mes amis auvergnats – et j’en compte – ne m’a fait grief là-dessus».
Et de rebondir sur «le lobby auvergnat capable de monter des opérations qui sont indignes et je tiens à le dire publiquement».
Cet homme politique presque oublié aurait pu profiter de cette interview pour panser une des vieilles blessures dont ont eu à souffrir les Juifs de France. Il choisit, au contraire, l’incitation au repli communautaire des Auvergnats, laissant à d’autres le soin de les accuser de ce communautarisme dont ils se seraient justement passé.
C’est à cela qu’on reconnaît les «bons vieux», ceux avec lesquels on passerait bien un après-midi ensoleillé, sur un banc à l’ombre d’un platane, de ceux qui pestent contre tout et rien, le temps qu’il fait, les programmes de télé et les lobbys.
Jean-Paul de Belmont © Primo-Europe, 3 mars 2007
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