Vendredi 9 janvier 2004 21:22 (20:22 GMT)
En Pologne, on peut humer le " parfum de la judéité ", alors qu’à peine quelques milliers de Juifs y habitent.
A peine 1100 citoyens polonais se reconnaissent comme étant Juifs. C’est ce qui résulte du dernier recensement général effectué en 2002. Jusqu’à 96,74 pour cent des citoyens ont mentionné leur nationalité polonaise. En Pologne, vivent aussi 173 milliers de Silésiens (cette nationalité n’avait pas jusqu’ici été reconnue comme distincte), 153 milliers d’Allemands, 49 milliers de Biélorusses, 31 milliers d’Ukrainiens et plus de 13 milliers de Tziganes.
L’Exode après l’Holocauste
Après la guerre, il restait en Pologne une poignée de Juifs (selon différentes estimations, de 80 000 à 560 000 personnes).
Une partie ont survécu grâce à des Polonais qui les ont cachés. Actuellement, le titre de " Juste parmi les nations " est attribué à plus de 6 000 citoyens polonais. Des centaines de milliers de Juifs ont passé la guerre sur les territoires de l’URSS, certains d’entre eux retournant ensuite en Pologne. En avril 1946, la société juive en Pologne comptait 246 000 personnes. Le pogrom qui s’est déroulé le 4 juillet 1946 à Kielce (42 juifs disparurent alors), ainsi que les pogroms de Cracovie et de Rzeszów ont provoqué un exode massif des Juifs polonais. Jusqu’en 1948, dans le cadre de l’opération " Bricha " plus de 100 000 Juifs ont quitté la Pologne. En 1956, pendant la période du " pouvoir communiste libéral ", des dizaines de milliers de Juifs ont émigré vers Israël. Parmi eux, certains avaient occupé de hautes fonctions dans les structures communistes, à la fin des années 40 et au début des années 50. La Pologne était gouvernée par le célèbre trio juif : Berman, Minc et Zamborowski. C’est alors que prit véritablement consistance la légende sur la prééminence juive au sein du système de répression communiste et des services secrets (judéocommune).
La Pologne communiste fut un des premiers pays à reconnaître l’Etat d’Israël. Lors de l'Assemblée Générale de l’O.N.U. en novembre 1947 le représentant polonais, l’écrivain Ksawery Pruszyński, prononça un discours émouvant au cours duquel il se prononça pour la création de l’Etat d’Israël. Jusqu’à la Guerre des Six Jours de 1967, les relations polono-israéliennes connurent des hauts et des bas. En 1966, Abba Eban, ministre des Affaires Etrangères d’Israël se rendit en Pologne. En 1967, la Pologne, ainsi que d’autres pays communistes rompirent leurs relations diplomatiques avec Israël. Une campagne antisémite officielle fut organisée. En 1968, après les vagues antisionistes, près de 30 000 Juifs furent contraints de quitter la Pologne Parmi ceux-ci, 5 000 se rendirent en Israël. En fait, il n’y avait plus de Juifs en Pologne, alors qu’y agissaient encore les deux principales organisations juives : l’Union des Congrégations Confessionnelles (fondée en 1949) et l’Association Socio-culturelle des Juifs Polonais (fondée en 1950). Il y avait aussi le Théâtre Yiddish et l’Institut Historique Juif (ŻIH).
Qui est Juif dans la Pologne actuelle ?
Comment se fait-il que, parmi les 10-15 000 Juifs habitant en Pologne, à peine plus d’un millier aient mentionné leur judéité lors du recensement général ? Où sont passés les autres ? Pourquoi taisent-ils leur propre identité ? Qui est Juif aujourd’hui en Pologne ? Selon la définition religieuse, le fait d’être Juif est décidé par la confession de la mère. En Pologne vivent beaucoup de fils et de filles de mères polonaises et de pères juifs. Une partie en parle ouvertement, d’autres évoquent leurs grands-parents ou même leurs arrière-grands-parents, qui étaient " Polonais d’origine juive ". La majorité d’entre eux préfère la formulation de " confession mosaïque ", afin d’éviter la dangereuse définition de " Juif ".
Près de 3 000 juifs dépendent de diverses organisations juives, une partie d’entre elles agissant " en silence " ; mais ils ont préféré ne pas déclarer leur judéité lors du recensement de la population. Cela est dû à une certaine routine, ou bien aussi à une amère expérience de la vie qui font que personne n’est spécialement empressé de se rattacher à la judéité. A cette tragique vérité, il y aurait aussi lieu d’ajouter un amer aspect historique : des milliers d’enfants et de nouveaux-nés juifs ont été confiés à des Polonais pendant la guerre par leurs propres parents. Ils sont ainsi devenus Polonais et catholiques. Très peu ont ensuite réussi à connaître leurs racines juives, la majorité n’en sachant rien.
Le parfum du judaïsme
Récemment, un sérieux institut de sondages d’opinion publique a publié une étude selon laquelle 40 pour cent des Polonais étaient convaincus qu’en Pologne les Juifs gouvernaient. Si l’on prend en considération leur nombre infime, cela est très gratifiant pour quelqu’un qui croit au soi-disant génie juif. Pour parler sérieusement, cela est un nouveau chapitre de la mythologie antisémite, qu’on rencontre tant en Pologne que dans le monde entier.
Il est difficile de trouver dans l’histoire de l’humanité un phénomène aussi passionnant que l’histoire des rapports polono-juifs. A la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il vivait dans le monde entier plus de 18 millions de Juifs, dont près de 5 provenaient de Pologne. Cela signifie que le quart des Juifs de l’époque avaient des racines polonaises. Même si l’Holocauste a englouti 6 millions de Juifs, dont 3 millions de Juifs polonais, vivent toujours en Israël et dans le monde entier des millions de Juifs aux racines polonaises. En Pologne, bien que n’y vivent que quelques milliers de Juifs, on peut y sentir le " parfum de la judeité ". Nous le percevons dans l’histoire, la culture, la littérature, dans la nostalgie des jeunes gens. Des milliers de Juifs aux racines polonaises frappent chaque jour aux portes des ambassades et consulats polonais du monde entier, ainsi qu’en Israël. Ils demandent la citoyenneté polonaise, un passeport polonais. La Pologne membre de l’Union Européenne est devenue encore plus attrayante. Peut-être, lors du prochain recensement, dans la mesure où seront pris en compte les citoyens résidant à l’étranger, le nombre de Juifs se reconnaissant comme tels sera beaucoup plus important.
Szewach Weiss
(Ambassadeur d’Israël en Pologne, Professeur à l’Université d’Haïfa, Président de la Knesseth (1992-1996), Délégué de la Knesseth auprès du Conseil de l’Europe (1984-1999), Président depuis 2000 du Conseil Mondial de Yad Vashem)
Le texte intégral paraîtra dans le prochain numéro de l’hebdomadaire " Wprost ", mis en vente à partir du lundi 12 janvier.
Texte librement traduit par moi-même, à partir du site Internet de la revue.
Source : http://www.wprost.pl/ar/?O=54667&WS=1