Un rapport dénonce la peur engendrée par les forces de l'ordre.
Par Karl LASKE
LIBERATION: vendredi 1 juin 2007
«Ce n'est pas un travail que nous faisons contre la police», a averti hier Jean-Pierre Dubois, le président de la Ligue des droits de l'homme (LDH) en présentant le deuxième rapport de la commission nationale «Citoyens, justice, police», avec le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF). «Nous n'avons pas un discours antipolicier . Aujourd'hui, les jeunes ont peur des forces de police. La peur est plus importante que la confiance.»
C'est une évidence délicate : les mots «peur» et «panique» reviennent souvent, trop souvent, dans ce rapport 2004-2006. L'intervention policière, les 19 et 20 mars, devant le groupe scolaire de la rue Rampal à Paris, d'autres plus anciennes (contre des lycéens opposés à la loi Fillon en 2005, les squatteurs de Cachan en 2006), ainsi que la noyade de Mickaël, un jeune tagueur poursuivi par la police en 2004, ont fait l'objet de missions d'enquête. Un travail associant «recueil de parole» et «investigation», selon Natacha Rateau, la vice-présidente du SM.
«Les rapports des inspections de la police (IGS et IGPN) ne sont pas connus et jamais rendus publics. Voilà une des choses que nous demandons», a souligné Jean-Pierre Dubois.
«Panique». La synthèse de la commission rapproche le scénario de la mort de Mickaël, parti taguer un mur d'autoroute une nuit d'avril 2004, retrouvé noyé dans la Marne, de celui de l'électrocution des jeunes Zyed et Bouna, à Clichy-sous-Bois, en octobre 2005. «Dans les deux affaires, les policiers ont procédé à une véritable chasse à l'homme», souligne le rapport, évoquant le «déploiement totalement disproportionné de policiers et de moyens». Dans les deux cas aussi, «un premier équipage d'une brigade anticriminalité a cru bon d'appeler des renforts particulièrement prompts à intervenir». Disproportion des moyens, absence d'anticipation, sans oublier la non-assistance à personne en danger. «On ne peut que faire le constat que la police, au lieu d'assurer la sécurité, a engendré une situation d'insécurité», accuse le rapport. Du côté des jeunes tagueurs, «la panique est à mettre sur le compte de l'augmentation des contrôles et des interpellations». Comme «la fuite désespérée des jeunes de Clichy». Au passage, Jean-Pierre Dubois déplore que «la réponse du ministre de l'Intérieur d'alors, Nicolas Sarkozy, ait été de calomnier ces jeunes, en les accusant faussement de cambriolage». Personne n'oublie les primes au résultat pour les policiers, les dénonciations du laxisme judiciaire. «Les policiers ont été pris en otage par un discours sécuritaire depuis des années», souligne le président de la LDH. La banlieue est ciblée. «Certaines zones» accumulent les «détournements de procédures».
«Rafle». La peur, c'est aussi celle des lycéens venus occuper l'annexe du ministère de l'Education en février 2005. «Ils témoignent avoir été pris de panique devant l'arsenal déployé.» Ils se réfugient «sur la terrasse du bâtiment» par crainte des policiers. Placés en garde à vue, mis en examen (et toujours dans l'attente de leurs procès), certains ont fait état de «conditions d'arrestation très impressionnantes, dans un climat de violence caractérisée».
Me Laurence Roques, du SAF, souligne «l'aspect collectif» des dérives actuelles visant manifestants lycéens, étrangers, prostituées. C'est-à-dire des «populations ciblées». L'expulsion des squatteurs occupant les locaux universitaires désaffectés de Cachan, en août 2006, est décrite minutieusement, comme une «rafle» massive. Les rapporteurs mettent l'accent sur la «brutalité des charges» : «des femmes debout sont jetées au sol avec leurs enfants», «des femmes assises ont été frappées à coups de boucliers et de matraques». Le préfet du Val-de-Marne répondra que «les blessures légères» relèvent «d'actes individuels intempestifs» des participants.
«Angoisse». Les contrôles et interpellations effectués aux abords des écoles parisiennes des rues Lassalle et Rampal, à l'heure de la sortie, font l'objet d'un rapport d'étape. Enfants, parents et enseignants, certains bousculés, ont reçu des lacrymogènes. «Pour les enfants, l'uniforme d'un policier est devenu le signe d'un danger, relève le rapport. Certains parents constatent une "politisation" précoce de leurs très jeunes enfants (8-10 ans) avec manifestation et slogans contre la police.» «L'inquiétude de savoir que les parents de leurs copains de classe peuvent être arrêtés» ou «être témoin d'arrestations» est «générateur d'angoisse». La commission n'a pas pu déterminer qui avait «donné l'ordre d'un contrôle de police». «Impossible de savoir qui avait pris la décision de placer en garde à vue la directrice de la maternelle Rampal», précise Laurence Roques.
Aucun syndicat de police n'a donné suite aux demandes d'entretien de la mission d'enquête. Mauvais signe.