Il est temps de tordre le cou à cette illusion mnésique que beaucoup d’entre nous ont voulu nourrir ces cent dernières années quant à la bonne cohabitation qui était de mise entre Juifs et Arabes dans les pays du Maghreb.
Je suis né en 1952 dans un quartier commerçant du centre de Tunis.
A en croire mes premiers souvenirs, autant que de lumières et d’odeurs, l’environnement y était fait de bruits : charrettes, sabots de chevaux sur le bitume, appels d’artisans ambulants de toutes sortes.
Nous vivions à dix, huit enfants et mes parents, dans un appartement de trois pièces où là aussi, le bruit était omniprésent, fait non pas de conversations feutrées et délicates, mais de sonorités de cuisine, sifflements de marmites, verre brisé, chaudes disputes autour des sujets de l’actualité politique et sportive. Chaque mètre carré y grouillait de vie, d’impulsivité, d’humour et d’amour. Dernier enfant de cette magnifique fratrie, je profitais de l’enrichissement apporté par chacun de mes aînés.
Nous jouissions d’un statut privilégié au regard de ce que connurent nos ascendants directs. Le fait de bénéficier d’un logement ensoleillé donnant sur une large avenue d’un côté, et sur un grand jardin de l'autre – jardin malheureusement créé à la place d’un ancien cimetière juif* qu’il a fallu profaner pour sa construction –, n’aurait jamais été possible pour la génération de mon grand-père paternel, condamnée à vivre dans la «Hara Hafsia », ghetto juif dont on fermait les portes la nuit pour ne pas risquer de voir les Israélites venir rôder parmi la population arabe.
Mon père, instituteur dans une école de l’Alliance Israélite Universelle, fut probablement le premier « col blanc » de sa famille. Cette promotion sociale permit à sa descendance l’accès à des études supérieures et à des professions bien loin de celles qui étaient exclusivement réservées aux Juifs jusqu’à la fin du dix neuvième siècle, boucher, épicier, savetier, etc.
Bien entendu, cette amélioration de nos conditions de vie ne s’est pas produite par hasard, ni par la volonté des instances dirigeantes arabes. Tout changea brusquement en 1881.
A cette époque, les Juifs, reclus dans leur Hara, vivaient dans des conditions plutôt misérables, dans des gourbis sans lumière ni aérations, dans une situation sanitaire déplorable, victimes d’épidémies diverses, ne recevant qu’une éducation rabbinique, relégués au statut de Dhimmis soumis à une taxe spéciale et faisant l’objet de toutes sortes d’humiliations et de brimades.
La présence juive dans ces contrées, bien antérieure à celle des Arabes, était une réalité historique que bien peu de gens devaient connaître à l’époque, et qui, de toute façon, si elle avait été sue par certains, aurait été soigneusement occultée afin de préserver l’état des relations intercommunautaires à l’avantage des Arabes. Les Juifs représentaient 2% de la population de Tunisie (100.000 sur 5 millions).
La France, présente depuis un demi-siècle déjà en Algérie, profita de quelques incidents à la frontière algéro-tunisienne pour intervenir en Tunisie et en faire un protectorat, officialisé par la signature contrainte du Traité du Bardo par le Bey de l’époque.
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