L’interview débute par une présentation des travaux du prof. Heinsohn. Il y définit un concept, l’« excès démographique de la jeunesse ». Cet excès démographique se traduit par une situation où les 15 à 29 ans constituent au moins 30% d’une population donnée. Selon ses études, cette situation peut compromettre la stabilité de la société – et pas seulement s’il s’agit d’une population pauvre, ce serait même plutôt le contraire : une population accablée cherche juste à survivre, mais dans une population en bonne condition, physique et mentale, les jeunes gens « excédentaires » auront tendance à consacrer leur énergie à la recherche de positions sociales valorisantes – trop rares. Ce qui peut engendrer la violence.
Le prof. Heinsohn présente pendant l’interview quelques exemples historiques de troubles au moins partiellement causés, selon lui, par ce phénomène – la révolution bolchevique, la montée du fascisme dans les années 1920, les débuts du mouvement maoïste, et, bien plus loin dans le temps, l’expansion européenne (l’établissement des colonies espagnoles, portugaises, etc.) du XVIème siècle.
À notre époque, le « problème » palestinien actuel présente les caractéristiques de ce phénomène, et il en discute longuement. Je ne m’étendrai pas trop là-dessus, car un article du prof. Heinsohn vient de paraître dans « Le Monde » à ce sujet (« Gaza, les raisons de la violence », 19.6.2007, édition papier du 20.6). Il y conclut que « la démographie galopante » des territoires palestiniens « continuera de produire en grand nombre des jeunes hommes sans perspective d’emploi ni aucune place dans la société, et dont l’unique espoir sera de se battre pour s’assurer l’une et l’autre ». C’est ce qu’il dit également dans l’interview du journal danois. Et c’est l’argent occidental qui soutient cette explosion démographique…
Il s’élève donc ainsi contre l’idée prédominante en Occident selon laquelle on peut contrer la guerre et la violence en résolvant le problème de la faim et de la pauvreté dans le Tiers-Monde. Ses recherches montrent qu’« au contraire, lorsqu’on élimine le problème de la pauvreté matérielle immédiate dans un pays souffrant d’un excès de jeunes, on cause l’escalade de la violence ».
Le journaliste en vient donc à lui poser la question suivante…
UNE CLASSE DE PERDANTS
– Ne serait-ce donc pas une bonne solution que de laisser ces « fils excédentaires » venir en Europe ?
– En Europe, tous les pays – sans exception – sont des nations vieillissantes qui ne se reproduisent plus suffisamment [pour remplacer les générations]. Elles se sont donc embarquées dans un processus où elles « mangent » mutuellement leurs jeunes talents. Pourquoi ne recherchent-elles pas ces jeunes talents en Afrique, dont la population a tant augmenté (~100 millions de personnes en 1900, deux milliards estimées en 2050 !) ? Pourquoi pas dans le monde islamique, qui a connu une explosion démographique similaire ? Pourquoi l’Amérique cherche-t-elle les jeunes talents en Allemagne, pourquoi le Danemark recrute-t-il des Polonais ? Parce que les pays du Tiers-monde n’ont pas le niveau d’éducation requis dans les pays développés, qui ne peuvent maintenir leur position que par l’innovation. Pour ce faire, ils ont besoin de jeunes gens qui ont grandi dans une société de haute technologie. Ce n’est pas que les Africains ou les Musulmans soient moins intelligents que les autres, c’est juste qu’ils ne sont pas socialisés d’une façon qui les rende utiles dans nos sociétés.
– Au Danemark, nous avons maintenant un grand nombre d’immigrants originaires de pays islamiques, des gens très instruits, de même que leurs descendants, des médecins, des avocats, etc. Mais beaucoup d’entre eux sont tout aussi peu intégrés que les moins instruits. Ils restent tout aussi radicaux et islamistes que s’ils n’avaient pas reçu d’éducation supérieure … ?
– Je laisserai l’évaluation des conditions danoises aux Danois. Cependant, on constate la même chose en Angleterre. Nous avons là une population dans la population, à savoir les Pakistanais, qui ont le taux de naissance le plus élevé de tout le pays, et qui sont les plus dépendants des allocations sociales. Dans les pays occidentaux, nous avons partout ce système d’allocations sociales qui est à peine utilisé par la population locale. D’un autre côté, il y a cette population immigrante dont les femmes ne peuvent être compétitives sur le marché du travail local. Pour les Danoises et les Allemandes, les allocations sont trop faibles pour être attractives. Pas pour les immigrants. Ce que l’on voit donc en Angleterre, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, ce sont des femmes issues de l’immigration qui complètent leur éventuel petit salaire par les deniers publics. Ce n’est pas un revenu extraordinaire, mais ça leur suffit. Et cela crée un genre de « carrière » réservé aux femmes, un modèle que leurs filles suivront.
Mais les fils n’ont pas ce choix. Ils ont grandi dans les basses couches de la société, sans les compétences intellectuelles nécessaires pour améliorer leur position. Ce sont ces garçons qui mettent le feu à Paris, ou dans des quartiers de Brême. Certains d’entre eux parviennent jusqu’à l’université et deviennent des leaders pour les autres – pas des pauvres, mais de jeunes hommes de rang social peu élevé, qui croient être opprimés à cause de leur confession musulmane, alors qu’en réalité c’est le système social qui a créé cette classe de perdants.
Par contre, au Canada, où je passe une partie de l’année depuis vingt ans, on trouve une politique complètement différente. Ils disent : notre politique d’immigration se fait sur une base simple. Tout nouveau Canadien, né ici ou venu de l’étranger, doit être plus doué que ceux qui l’ont précédé ; parce que seule l’innovation nous permettra de conserver notre position dans la compétition mondiale. Je veux donc que mon fils soit plus intelligent que moi. Et croyez-le ou non : 98% des immigrants canadiens ont de meilleures qualifications professionnelles que la moyenne des Canadiens. En Allemagne et en France, le chiffre est de 10%. Là où nous jouons la quantité, ils jouent la qualité.
Et pourquoi ? En Allemagne, parce que les gens avaient peur d’être traités de racistes ; et il semblerait que tous les pays européens souffrent de cette peur de faire des choix.
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