vous portez un regard acide sur l’histoire de ce pays. Aucun tabou ne semble vous inhiber ?
Soyons sincère, notre histoire est l’histoire d’un peuple soumis, qui subit et se tait, elle est l’inventaire de nos échecs et de nos lâchetés. Où sont les pages qui disent nos succès et nos avancées ? Je ne les vois pas. Je ne comprends pas qu’un peuple qui a fait une si longue et si meurtrière guerre pour se libérer du colonialisme accepte la situation indigne dans laquelle il a été jeté depuis l’indépendance. Nous sommes en 2012, c’est toute une vie passée dans le silence et la peur. Les gens regardent leur pays se faire piller du matin au soir et ne disent rien, ne font rien. Ils regardent leurs enfants se jeter dans la harga et mourir en mer et ne disent rien, ne font rien. Ils se font humilier chaque minute de chaque jour par une administration arrogante et une police qui se croit la conscience du pays et ne disent rien, ne font rien. Comment voulez-vous avoir un regard épanoui sur l’histoire de ce pays. Le monde entier nous regarde avec mépris, il se demande si les Algériens d’aujourd’hui sont bien ceux de 1954. Les Tunisiens, les Marocains, les Égyptiens, dont nous nous moquions volontiers, ont entamé leur marche vers la liberté et la dignité et que faisons-nous de brillant ou d’utile ? Rien, nous courbons un peu plus le dos et nous nous en prenons à ceux qui viennent nous dire que notre situation n’est pas saine. Comment est-ce possible que les gens osent encore se regarder alors que le monde entier se révolte contre l’ordre ancien, contre les injustices, contre la dictature qu’elle soit policière, financière ou religieuse. Pour ce qui est du tabou, je n’en ai pas et donc je n’ai pas d’inhibition. C’est aussi que je me suis donné quelques bons maîtres, Voltaire, Kateb Yacine. Ceux-là en particulier n’avaient pas la langue dans leur poche. Ils disaient ce qu’ils pensaient. La seule chose qu’ils s’interdisaient, c’était de dire ces choses sans art.
http://www.lematindz.net/news/7072-boualem-sansal-lhistoire-de-lalgerie-a-toujours-ete-ecrite-par-les-autres.html