Il y a un peu plus d’une semaine, nous lisions dans la Torah le passage qui institue les quatre pouvoirs au sein de la société : le Roi, le Juge, le Cohen et le Prophète. Ce dernier, « invention » géniale de la civilisation hébraïque, a pour rôle d’être le garde-fou des trois autres pouvoirs, ainsi que de remettre le peuple sur le droit chemin d’un point de vue religieux et moral. Le livre des prophètes est empli de sévères harangues contre les déviances dans le peuple d’Israël, jusqu’à son sommet, et ceux qui parlaient au nom de Dieu, n’avaient pas la langue dans leur poche, pas plus qu’elle n’était en bois. Après la disparition de la prophétie en Israël, ce sont les Rabbins qui ont pris le relais pour être les « bergers du peuple » et le guider dans sa marche.
La notion de rétribution et de châtiment fait partie des fondamentaux de la foi juive, elle est mentionnée à maintes reprises dans le texte biblique, et tout au long des siècles, les dirigeants spirituels ont toujours souligné le lien de cause à effet entre le comportement de la collectivité d’Israël et les événements - souvent tragiques - qui ont jalonné son histoire. Il n’est donc pas surprenant qu’un Sage tel que le Rav Ovadia Yossef, à l’approche des Jours redoutables, insiste sur l’exigence d’un examen de conscience collectif, et sur la nécessité d’aborder le thème de la Techouva. Mais lors d’un cours (enregistré), il a affirmé, en illustration à un passage du Talmud, « que « les soldats qui sont morts lors de la deuxième Guerre du Liban, sont tombés car ils ne respectaient pas le Chabbat, ne mettaient pas leurs tefilines et ne priaient pas. Il ne faut dès lors pas s’en étonner ».
Mais à part l’inexactitude patente (et incompréhensible) dans ces propos - de nombreux soldats religieux ont été tués lors de ce conflit - plusieurs questions se posent suite aux déclarations du Rav Yossef : un Sage ne doit-il pas également penser à l’effet qu’auront ses paroles sur la population ? Doit-il montrer du doigt un secteur particulier de la population, ou doit-il se contenter d’exhortations générales ? Ne doit-il pas peser l’utilité de telles déclarations pour un certain public, face aux ravages qu’elles peuvent faire dans d’autres secteurs importants de la population ? Le rôle d’un guide spirituel de cette envergure ne doit-il pas être de rapprocher les gens de l’amour de la Thora, et non provoquer la haine envers ses tenants ? Ce n’est pas pour rien que les Pirké Avot (Maximes des Pères) demandent aux Sages « de faire attention à leurs paroles », non pas qu’ils puissent mentir, mais parce que la pédagogie élémentaire exige que l’on réfléchisse à ce que l’on dit, à qui on le dit, quand, comment et de quelle manière. Et dans ce domaine, il y beaucoup à dire.
En « ouvrant les archives », on se rend compte que ce genre de déclarations n’est pas nouveau venant du Rav Yossef, de son entourage direct ou des personnalités qui s’y réfèrent. Des tragiques accidents de la route, la mort de soldats, et même la Shoa, sont épisodiquement attribués au non–respect du Chabbat, ou à la transgression de telle ou telle mitsva.
L’amour d’Israël, ou la tristesse face à la mort de jeunes soldats, ne sont pas à mettre en doute chez le Rav Ovadia Yossef. Cependant, il y a là une certaine imprudence à choquer ainsi des publics entiers de la population, surtout lorsqu’ils ont été touchés dans leur chair et dans leurs chers. Expliquer à un survivant de la Shoa que sa famille a été décimée à cause de la transgression du chabbat, dire à des parents éplorés que leur enfant est mort dans un tragique accident de bus, parce que les mezouzot de son école n’étaient pas cachères, ou accuser des soldats de leur propre mort au combat, pour n’avoir pas mis leurs tefilines, sont des propos incompréhensibles de la part de gens qui se réclament de la Thora et de l’amour du prochain.
De tels propos n’entraînent forcément (et inutilement) que malaise, réprobation, condamnations, dans les familles touchées et bien au-delà. Mais ils entraînent également un effet inverse à celui souhaité dans les franges laïques de la population, de plus en plus excédées par les « sorties » de ce style, de la part d’un public qu’elles voient à tort ou à raison comme « étant en marge de la vie du pays ». On assiste alors à des flèches acérées de la part de personnes scandalisées, tel ce journaliste, qui avait alors beau jeu de dire : « Effectivement, les jeunes de Shass et du courant du Rav Ovadia Yossef, qui font chabbat, mettent les tefilines et prient, ne risquent pas quant à eux, de mourir au combat… puis qu’ils n’y sont pas, en grande majorité ». Défendant son Maître avec acharnement, Elie Ishaï s’est confondu en arguties, tentant de montrer, à part le traditionnel « on a déformé ses propos », que le Rav a voulu dire « qu’autrefois, dans l’antiquité, tous les soldats qui partaient à la guerre, étaient croyants et pratiquants, et étaient donc protégés par D-ieu » Dont acte, lui répondit le journaliste : « Pourquoi alors, le Rav Ovadia n’a-t-il pas lancé en même temps un appel solennel à tous les étudiants des Yeshivot à se rendre massivement au Service du recrutement militaire ?!! »
Triste et dommage.
Shraga Blum
source :
aroutz7