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 Enquête sur les fantômes du passé

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noach

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Localisation : France profonde
Date d'inscription : 20/11/2006

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MessageSujet: Enquête sur les fantômes du passé   Enquête sur les fantômes du passé Icon_minitimeJeu 20 Sep - 14:59

Critique littéraire au « New York Times », Daniel Mendelsohn s'est rendu en Europe, sur les lieux de la mémoire familiale. Rencontre.

AU COMMENCEMENT de cette épopée, Les Disparus, il y a les yeux bleus de Daniel Mendelsohn, qui craignent les rayons du soleil de septembre, et ses cheveux bruns, bouclés et incontrôlables, dont il interdit désormais la pousse sur son crâne lisse. Enfant, Daniel jalousait la crinière blonde et les yeux ambre de son frère. Lui, qui ne ressemblait pas à une icône byzantine, avait hérité de la physionomie d'un grand-oncle, Shmiel Jäger, dont personne ne savait grand-chose si ce n'est qu'il était mort tué par les nazis, lui, sa femme, et « ses quatre filles superbes ». Cette ressemblance d'un petit garçon né en 1960 à Long Island avec une victime de l'Holocauste a fait pleurer les vieux Juifs de la famille, bouleversés de voir le passé, effroyable, s'incarner si innocemment dans les traits d'un enfant. « Dans un foyer, il y en a toujours un pour s'intéresser à ses origines », dit Daniel Mendelsohn, évidemment prédestiné à jouer ce rôle. Dans un bureau de Flammarion, avec vue sur le Théâtre de l'Odéon, il fait pivoter sa chaise à roulettes, comme si ce geste répétitif lui soufflait ses mots, dans un anglais émaillé d'expressions françaises qu'il prononce sans accent. À treize ans, le jeune Daniel écrit de longues lettres pleines de questions sur la mishpuchah, la famille, à son grand-père Aby. Intarissable quand il s'agit de raconter son immigration aux États-Unis ou l'anecdote du bateau pour New York qu'il faillit rater à cause de l'examen des cheveux, si longs, de ses soeurs, Aby enveloppe l'histoire de son frère Shmiel d'un silence irradiant. Comme tous les trous de mémoire, celui-là est devenu obsessionnel. Daniel interroge donc ses autres oncles et tantes, puis des sites Internet de généalogie, dont les réponses, toujours lapidaires, aiguisent son désir de connaissance.

Paraboles bibliques

La quête du savoir est justement le sujet de ce livre inclassable, elliptique, qui sait plus de choses qu'il n'en dit. En cinq ans d'enquête, l'auteur a réussi à exhumer quelques éléments sur la vie et la mort des Jäger. Mis bout à bout, ces indices dessinent une histoire qui tiendrait en à peine une page. Le livre en comporte 650. Mendelsohn, helléniste chevronné qui fit sa thèse sur Euripide, et critique littéraire au New York Times, sait plus que quiconque que ce qui nous séduit dans une histoire, c'est la manière de la raconter. Rien de moins étonnant donc que cet amoureux des lettres classiques ait décidé de nous conter celle-ci à la manière de l'Odyssée. Pour retrouver la trace de la famille de Shmiel, une Ithaque située soixante ans en arrière, Mendelsohn a visité l'ancienne Bolechow, en Ukraine, le fief des Jäger. Puis, avec une caméra vidéo, il est allé à Sydney, dans un paradis de surfers, où une poignée de rescapés nés à Bolechow ont trouvé asile. Enfin, il y eut des voyages en Israël, en Suède, au Danemark, entrecoupés de retours à New York, où il prit des milliers de tasses de thé avec l'adorable Frances Begley pour recueillir, encore, la mémoire de ces vieux Juifs avant qu'elle meure avec eux. « J'ai quarante-sept ans, j'appartiens à la dernière génération d'auteurs qui ont pu compulser des témoignages vivants sur l'Holocauste. Nous vivons une époque charnière, après laquelle l'histoire de la Shoah résidera uniquement dans les livres », explique- t-il, ému et solennel. Les dernières pages des Disparus, où l'on découvre que la plupart des témoins interrogés par Mendelsohn sont décédés dans les années 2000, rendent compte de cette urgence. L'auteur, en fouillant ses origines, a été pris d'un malaise en découvrant des lettres que Shmiel envoya à Aby en 1939, bouleversants appels au secours, dont Daniel n'a pu qu'imaginer les réponses : « Pour me protéger de mon propre jugement sur une vérité désagréable (mon grand-père n'a pas pu aider son frère), je me suis réfugié derrière un texte de référence, par réflexe scolaire. » Voilà comment la Torah s'est invitée dans le récit de Mendelsohn, qui a convoqué Abel et Caïn, pour comprendre Shmiel et Aby. Il s'est ensuite étonné de voir comment son propre récit se réfléchissait dans d'autres paraboles bibliques : la dissolution de l'humanité dans le Déluge dont ont été épargnés Noé et ses proches, la destruction de Sodome et Gomorrhe. Ces passages d'exégèse brisent les moments de suspense qui auraient donné des allures de thriller à ce livre méditatif, à la recherche d'une mémoire perdue.

Les Disparus de Daniel Mendelsohn traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Guglielmina Flammarion, 650 p., 26 € .

source : lefigaro

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