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 appelons un meurtre antisemite par son nom

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adm-janine
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adm-janine


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MessageSujet: appelons un meurtre antisemite par son nom   appelons  un meurtre antisemite par son nom Icon_minitimeMar 3 Juin - 12:43


Meïr Waintrater


Appelons un meurtre antisémite par son nom

Par Pierre Mertens (Ecrivain, directeur du Centre de sociologie de la littérature à l'Université libre de Bruxelles et critique littéraire au journal «Le Soir»)

LE MONDE | 02.06.2014
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Sur l'heure de midi, dimanche 1er juin, on apprend aux représentants du monde politique belge qu'on vient d'arrêter à Marseille un certain Mehdi Nemmouche dont le signalement correspondrait au détail près à celui du tueur du Musée juif de Bruxelles. Depuis huit jours, on en était réduit aux supputations, aux hypothèses. A priori, la piste djihadiste paraissait la plus plausible. On soulignait à l'envi la singulière «coïncidence» d'un assassinat perpétré quelques heures, à peine, avant une consultation électorale de première importance pour l'Europe entière. Mais on prenait la mesure de la pauvreté du lexique de circonstance. Indigence des paroles convenues. Amorphes condoléances. Langue de caoutchouc mou: «Ignominie», «acte barbare», «invraisemblable lâcheté», etc. Et surtout: «On n'a pas de mots pour qualifier l'inqualifiable, on reste sans voix devant l'innommable.»

Méfions-nous de ces porte-parole qui font grand usage de l'indicible. On n'a pas de voix mais on demande à l'électeur d'accorder la sienne… Or un mot, au moins, eût pu, eût dû être prononcé et, certes, il n'était pas agréable à entendre, car il témoigne d'une imprévoyance sans pardon: prévisible. Rien d'aussi peu inattendu.

Ne jouons pas la surprise. L'antisémitisme, la nouvelle judéophobie, progresse partout, en Europe: pourquoi, comment la Belgique serait-elle épargnée? La parole antisémite apparaît partout libérée, sans vergogne ni complexe: c'est quasiment à son aune qu'on pourrait juger du degré de démocratie auquel on prétend atteindre, et elle ne reste pas l'apanage d'une poignée d'humoristes nauséabonds.

Ecoutons ces esprits forts qui inclinent à penser que le rappel forcément «lancinant» de la Shoah est «contre-productif» et que, dans les écoles, les professeurs d'histoire feraient mieux de ne pas l'asséner, entre autres, à de jeunes Maghrébins dont l'Histoire ne recoupe en rien celle-là! Entendons une pédagogie inédite: si on commençait par l'autocensure? Un brin de négationnisme ne ferait pas de tort… On pourrait au moins essayer? Ah! Mais c'est que la sacro-sainte «banalité du mal» a encore de beaux jours devant elle!

Et pendant qu'on niera, ici, l'Histoire, on laissera, là-bas, la haine déferler sur les réseaux sociaux et encrasser jusqu'aux sites de grands médias qui n'y prennent pas garde. En hommage aux victimes du 24 mai, on engage les élèves d'écoles voisines du musée à prononcer quelques paroles. Certains se seraient étonnés, paraît-il, qu'on ne les invitât pas à le faire dans bien d'autres occurrences? J'en connais qui applaudissent à ce sens de l'à-propos… Et pensent qu'ils ont été «bien éduqués».

Tiens, j'y pense: ceux qui déposèrent sur les dépouilles des victimes quelques fleurs de rhétorique crurent souvent bon d'ajouter «innocentes». Selon quel critère celles-ci eussent-elles pu apparaître coupables? Parmi elles, on comptait un couple d'Israéliens qui fêtaient là leur dix-huitième anniversaire de mariage. Anciens fonctionnaires du gouvernement, si bien qu'un bref instant, on se demanda s'il ne pourrait s'agir, éventuellement, d'agents secrets? Piste aussitôt abandonnée.

L'antisionisme d'aujourd'hui franchit souvent la ligne rouge de l'antisémitisme (alors qu'hier on pouvait quelquefois, à bon droit, faire la distinction). Voilà où nous en sommes au lendemain d'un scrutin dont les résultats ont de quoi inquiéter l'Europe entière et mon pays en particulier. Mais il n'est pas que dans les isoloirs que se trament de troublants secrets. Pour certains, le plus sûr moyen de faire prévaloir ses opinions, ce n'est pas de voter. Mais c'est encore de tuer.

En 1946, dans ses Réflexions sur la question juive (Folio, 2001), Sartre préconisait de ne jamais perdre de vue qu'avant même de se couvrir des oripeaux de l'idéologie, l'antisémitisme est une passion.

Mais, ce dimanche midi, les représentants du monde politique commentent l'arrestation survenue à Marseille, et conviennent soudain que «la menace préexistait», que des précédents laissaient présager le pire, qu'il va falloir faire montre d'un surcroît de vigilance car des communautés religieuses, dont la chrétienne et la juive, sont visées, qu'il pourrait s'agir du début d'une série, et d'un acte «précurseur». La politique ne consiste-t-elle donc qu'à savoir, prévoir et penser ce que, la veille encore, on proclamait «impensable»?
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