Les terribles secrets de la "Shoah par balles"

par CYRILLE LOUIS

Depuis quatre ans, le prêtre Patrick Desbois recueille en Ukraine des témoignages inédits sur les exécutions de Juifs par les nazis.

AU COMMENCEMENT était le silence... Ainsi aurait pu débuter l'ouvrage (*) que vient de publier le père Patrick Desbois afin de présenter le travail colossal mené, jusqu'à présent dans l'ombre, pour donner la parole aux derniers témoins de l'extermination des Juifs d'Ukraine. Ces villageois, aujourd'hui âgés d'au moins 70 ans, étaient sur le point de s'éteindre avec leur si lourd secret lorsque ce prêtre chargé des relations avec le judaïsme conçut, il y a environ quatre ans, le projet de recueillir leurs souvenirs de façon systématique et méthodique. A la tête d'une petite équipe pluridisciplinaire, il a depuis interrogé 700 témoins, mis au jour plus de 600 sites d'extermination et profondément bouleversé les connaissances sur le déroulement de la Shoah à l'Est - au grand étonnement des historiens et de la communauté juive.

Enfant, c'est auprès de son grand-père Claudius, volailler à Chalon-sur-Saône, que Patrick Desbois a appris le poids du silence. La guerre vient alors de s'achever et l'homme, malgré les questions incessantes, refuse obstinément d'évoquer sa longue détention en Ukraine, à Rawa-Ruska. Pour toute réponse, il se contente un jour de lâcher : « Pour nous, dans le camp, c'était difficile ; il n'avait rien à manger, on n'avait pas d'eau, on mangeait de l'herbe, des pissenlits. Mais pour les autres, c'était pire ! »

source : lefigaro

La Shoah par balles etait connue par les historiens, mais son ampleur a ete sous-estimee. Il faut dire que peu de documents etait disponible, soit parce qu'ils avaient ete detruits ou perdus, soit par qu'ils avaient ete caches soigneusement apres la guerre sous les ordres de Staline. Ehrenbourg fut charge d'etablir un "Livre Noir" sur la Shoah des Juifs sovietiques, mais tres vite, les pressions et le refus de certains de temoigner et la necessite de maintenir l'unite nationale alors que des partisans ukrainiens combattaient le regime sovietique (ces partisans tenerent jusqu'en 1951!!!) obligerent Staline a cesser les activites d'Ehrenbourg. Ce dernier reussit a faire publier une partie de son Livre noir, mais la tres grande majorite des documents furent caches par le KGB.

Le grand historien de la Shoah qui vient de mourir, Raoul Hilberg, estimait le nombre des Juifs sovietiques qui avaient peri a 1.000.000. Il s'avere que les travaux du Pere Desbois montrent que dans la seule Ukraine au moins 1.500.000 Juifs perirent sous les balles, alors qu'en Ukraine occidentale (l'ancienne Galicie polonaise), plus d'un demi-million de Juifs perirent dans les camps de Belzec et de Maidanek, sans compter ceux qui furent deportes ailleurs. A cela, il faudrait ajouter un nombre encore inconnu, ou partiellement connu, de Juifs de Bielorussie, de Moldavie et des territoires russes occupes par les Allemands de 1941 a 1944, sans parler des Juifs des pays baltes.

Si bien que les travaux du Pere Desbois ont aussi l'immense merite de confirmer, voire meme d'augmenter sensiblement le nombre total de victimes a plus de 6 millions.

Sans lui, on peut aussi citer ces decouvertes de charniers en Ukraine du Sud durant des travaux pour la pose de gazoducs au debut de cette annee.

Saura-t-on jamais l'ampleur des massacres, et surtout l'identite des victimes?

l'identité des victimes certainement pas ; dans les familles de mes père et mère je n'ai été capable de comptabiliser que ceux qui sont sur les photos, mon père étant déjà mort je n'ai rien pu lister. Mais c'était une grande famille. Une dame que nous appelions "ma tante" avait son père, ses 5 frères et soeurs, la famille de son mari, je n'ai jamais rien comptabilisé. Et la famille de mon cousin idem ; c'est le seul cousin survivant. Ma mère lui demandait conseil pour tout, elle se raccrochait à lui ; quand je me moquais, elle me disait "il faut toujours demander à l'homme de la famille" ; "l'Homme"! il n'en restait plus qu'un, alors qu'ils avaient été une centaine, de quoi faire dix mynians.
Deux personnes de ma famille sont morts fusillés en exemple, dans leurs villages respectifs, à côté de Lublin. Et j'ignore combien mes oncles et tantes avaient d'enfants, combien les époux et épouses avaient de frères et soeurs.
Et beaucoup sont morts au ghetto, ou en cours de route, ils sont allés à pied à Sobibor.
C'est très compliqué. Il aurait fallu y penser avant, c'était le rôle des chefs de la communauté juive de nous demander d'essayer de lister ; après il ne m'est resté que ma mère pour se souvenir.
Les femmes sont la mémoire des familles, ce sont toujours elles qui se souviennent, connaissent les anecdotes, les prénoms, les métiers.