Nicolas Hénin : “Daech est une secte qui rameute des paumés en mal de cause”
Rencontré par Courrier International à l’occasion du Forum mondial de la démocratie de Strasbourg, le journaliste Nicolas Hénin, ancien otage de l’organisation Etat islamique, plaide pour que l’on s’attaque aux causes de l’émergence de l’EI : les bombardements du régime Assad.Courrier international : Depuis les attentats du 13 novembre, le nom de l’organisation Etat islamique (EI) est sur toutes les lèvres. Avez-vous l’impression, vous qui l’avez côtoyée de près, qu’on s’en fait une idée biaisée dans l’opinion occidentale ?Nicolas Hénin : Oui. L’une des grosses erreurs qu’on fait, en Occident, avec l’EI, c’est de considérer qu’ils sont le mal. Evidemment, surtout dans ma position, je ne vais pas commencer à les défendre, mais le problème, c’est qu’ils ne sont pas le mal : ils ne sont que le symptôme, la conséquence. Le mal, c’est l’autoritarisme, le sectarisme qui déchire le Moyen-Orient, et c’est surtout l’extraordinaire violence politique qui touche les populations de la région. Il faut s’attaquer au mal et on détruira l’EI, par conséquence.
Au fond Daech, qu’est-ce que c’est ?Daech, c’est plusieurs choses. C’est une organisation terroriste, mais pas seulement. C’est aussi une organisation qui a un vrai projet politique et de vraies ambitions politiques derrière.
Mais c’est également, pour beaucoup d’aspects, une organisation mafieuse avec un rôle de prédation sur les territoires qu’elle contrôle ou cherche à contrôler. C’est pas anodin que Daech ne se soit pas beaucoup battu pour conquérir certaines villes – une ville, ça coûte plus que ça ne rapporte – alors qu’il a mis beaucoup d’efforts à conquérir des déserts, mais dans lesquels il y avait des champs pétroliers.
Enfin, Daech c’est une secte qui a une stratégie de coucou, qui s’empare de territoires laissés à l’abandon, notamment par la faillite des Etats syrien et irakien. Et une secte qui fait les fonds de tiroirs des sociétés européennes et recrute, rameute, beaucoup de paumés en quête de cause.
Au niveau stratégique, avez-vous le sentiment que les autorités européennes font une erreur de calcul ?Beaucoup d’erreurs de calcul sont faites. Daech, ce sont des terroristes. Ils cherchent à se faire passer pour les plus méchants alors qu’ils ne le sont pas : quand on regarde les chiffres, le régime [syrien] a tué dix fois plus que Daech.
Ils veulent, en nous terrorisant, nous faire perdre notre discernement, qu’on arrête de penser de façon rationnelle, qu’on soit juste obnubilés, comme un joueur de poker qui est en train de perdre et qui à chaque fois remet au pot. Bref, poursuivre une escalade dont ils comptent sortir gagnants, parce qu’ils misent sur un effondrement de l’Occident.
Comment réagissez-vous à la réponse française et aux nouveaux bombardements en Syrie ?Je suis extrêmement circonspect. Pour moi, il ne faut pas se priver du levier militaire – il fait partie de façon très légitime de la panoplie à la disposition d’un Etat. Mais ceci étant posé, en matière de contre-terrorisme, il doit être aussi modéré que possible.
Il faut engager les populations locales, notamment les Arabes sunnites de la région, qui sont dans un désespoir tel qu’elles finissent par se réfugier dans les bras de Daech, avec lequel elles partagent pourtant peu, à part l’appartenance communautaire. Daech n’est attirant que par défaut, que parce que nous avons échoué – collectivement, le monde entier, je ne parle pas que de l’Occident – à offrir une alternative à ces populations qui, rappelons-le, depuis quatre ans se font massacrer à grande échelle.
Et comment peut-on leur offrir une alternative ?En leur fournissant de la sécurité. Et pour fournir de la sécurité, il faut être prêt à utiliser la force contre d’autres acteurs que Daech, et en l’occurence à imposer par la force des zones de sécurité dans lesquelles les civils sont protégés de ce qui est aujourd’hui le plus meurtrier en Syrie, et de loin : les bombardements du régime, qui sont complètement indiscriminés, avec des barils d’explosifs, et qui provoquent des destructions de quartiers entiers. Il faut que ces bombardements s’arrêtent parce qu’il sont, aujourd’hui, le principal instrument de recrutement de Daech.
Propos recueillis par Carole Lyonhttp://www.courrierinternational.com/article/terrorisme-nicolas-henin-daech-est-une-secte-qui-rameute-des-paumes-en-mal-de-cause