Parler au Hamas
Nehemia Strasler
Traduction : Gérard pour La Paix Maintenant
Hiver 1991 : Saddam Hussein bombardait Tel Aviv. Pendant un mois et demi,
des missiles à longue portée sont tombés sur la ville. Les gens étaient
paniqués, beaucoup ont fui pour Jérusalem, alors que les dirigeants
parlaient avec emphase du coup terrible que le dictateur irakien allait
essuyer.
Mais rien ne s¹est passé. Nous n¹avons rien fait.
Février-mars 1996 : des autobus explosaient à Tel Aviv et Jérusalem, et
plusieurs dizaines de personnes étaient tuées par des attentats suicides
dans les rues et les restaurants. Les gens qui allaient à l¹épicerie ne
savaient pas s¹ils reviendraient. Ceux qui allaient au restaurant ou à la
discothèque passaient pour suicidaires. Shimon Peres, alors premier
ministre, savait que les attentats le détruiraient politiquement, mais il ne
pouvait rien faire pour les empêcher. Bien entendu, Benjamin Netanyahou
(Likoud) gagna les élections qui suivirent.
2001-2003 : une fois de plus, le terrorisme frappait le c¦ur d¹Israël. Les
attentats suicides vidaient les centres commerciaux, le tourisme était à
l¹arrêt, les hommes d¹affaires faisaient faillite. L¹économie plongea dans
une profonde récession, et le chômage explosa. Là encore, nous n¹avons pas
fait une guerre totale dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Il est donc faux d¹affirmer qu¹Israël a abandonné Sderot et l¹ouest du
Néguev. Si abandon il y a, alors Tel Aviv et Jérusalem avaient été
abandonnées, elles aussi. La vérité est plus prosaïque : l¹usage de la force
a ses limites, et l¹armée ne peut pas tout résoudre.
Netanyahou peut toujours déclarer qu¹il y a une solution simple (« passer de
la guerre d¹usure à l¹offensive »), la réalité est plus complexe. Tsahal a
opéré dans une zone densément peuplée de Gaza, et deux soldats ont été tués.
Si l¹armée avait poussé plus loin, le nombre de victimes aurait augmenté en
conséquence.
La pression internationale aurait monté, elle aussi. Les Nations unies
avaient déjà condamné, Omar Suleiman, le médiateur égyptien [également chef
des services secrets, ndt] a annulé sa visite en Israël et des scènes datant
des débuts de la 2e Intifada en octobre 2000 ont été vues en Cisjordanie.
Les roquettes Qassam et Grad ont continué à tomber alors même que Tsahal se
trouvait à l¹intérieur de la bande de Gaza, et hier, le Hamas s¹est hâté de
clamer victoire.
Autre mensonge irritant du discours israélien : il convient de faire de la
vie des Gazaouis un enfer, afin qu¹ils fassent pression sur les leaders pour
mettre un terme aux tirs de roquettes. Cette thèse était celle de la
première guerre du Liban, et n¹a pas marché, même si des centaines de
milliers de Libanais ont dû fuir vers le nord.
Idem pour la deuxième guerre du Liban. Et cela ne marche pas non plus à
Gaza, bien entendu.
A Gaza, la situation est horrible, la pauvreté est endémique, le nombre de
victimes énorme, les hôpitaux ne peuvent plus accueillir tous les blessés,
le chômage a atteint le taux hallucinant de 60%, et la population ne
subsiste que grâce à la nourriture fournie par les organisations des Nations
unies.
Dans une situation si difficile, les gens n¹ont plus rien d¹autre que leur
dignité. Ces jours-ci, « Gaza tout entière est devenue Hamas », a dit à
Ha¹aretz un ancien officier de sécurité du Fatah, loin d¹être un partisan du
Hamas. Al-Jazira envoie dans tous les foyers les images d¹horreur de la mort
de dizaines de femmes et d¹enfants.
Dans cette situation, la haine triomphe et le seul espoir est de prendre sa
revanche. Les lanceurs de roquettes sont ainsi les héros qui gagnent la
sympathie de l¹opinion. Le soutien au Hamas ne décroît pas, il grandit.
Il n¹y a pas d¹autre issue que de parler au Hamas. Nous ne pouvons pas
choisir nos ennemis. Nous avons négocié avec Yasser Arafat après avoir dit
pendant des dizaines d¹années (mots d¹Itzhak Rabin) que « nous ne
rencontrerons que l¹OLP que sur le champ de bataille. »
Il est vrai que signer un accord avec le Hamas est risqué. Cela pourrait
affaiblir Mahmoud Abbas, qu¹Israël considère comme un bon partenaire. Mais
cela pourrait aussi représenter un espoir. Il pourrait y avoir un accord de
cessez-le-feu, consistant en un arrêt des tirs de roquettes en échange d¹un
arrêt des assassinats ciblés. On pourrait aussi se mettre d¹accord sur un
échange de prisonniers. De même, nous pourrions soulager le siège économique
dans le cadre d¹un accord qui empêcherait le transfert d¹armes et
d¹explosifs via le passage de Rafah. Tout cela est possible, et de loin
préférable aux massacres, qui ne font qu¹ériger des murs de haine et de soif
de vengeance.
Naguère, nous refusions de parler à l¹OLP et à Arafat. Puis, nous avons
humilié Abbas en ne lui accordant aucun crédit dont il aurait pu se
prévaloir pendant le désengagement. Aujourd¹hui, nous ne voulons pas parler
au Hamas. Ainsi, les combats continueront, jusqu¹à ce qu¹une catastrophe se
produise, de leur côté ou du nôtre. Alors seulement, les dirigeants seront
forcés de s¹asseoir autour d¹une table et de négocier.