http://www.haaretz.com/hasen/spages/966769.html
Avoir raison jusqu¹au bord du précipice
Doron Rosenblum
Traduction : Gérard pour La Paix Maintenant
La présentatrice de la BBC se pencha vers le maire de Sderot Eli Moyal, venu
à Londres en mission de relations publiques (c¹est-à-dire pour faire un show
victimaire qui puisse se comparer à celui des Palestiniens). « Alors, qu¹en
dites-vous ? » demanda-t-elle sur le ton didactique réservé aux interviewés
du tiers-monde, « le monde entier a tort, et vous seul avez raison ? »
Elle répéta cette question rhétorique plusieurs fois, comme par habitude,
sans expliquer en quoi le monde avait "raison" sur le Hamas et les Qassam,
et sans écouter ce que Moyal disait. Moyal, pour sa part, continuait à faire
le compte des milliers de roquettes tombées sur Sderot, en particulier
depuis le "désengagement". Lui aussi avait sa question rhétorique, posée
encore et encore (« Pourquoi tirent-ils ? »), s¹accrochant ainsi à la seule
branche qui nous reste depuis le "désengagement" (« Nous n¹occupons plus
Gaza »). Ce fait, par ailleurs techniquement exact, semblait échapper à la
journaliste, et ainsi au "monde entier".
Globalement, l¹interview n¹était pas particulièrement hostile, et Moyal s¹en
est plutôt bien sorti. Mais c¹est exactement la raison pour laquelle il y
avait quelque chose de touchant dans cette propension israélienne, ô combien
familière et usante, à manifester cette « conviction profonde de notre bon
droit et d¹un désespoir non moins profond de devoir l¹expliquer à chaque
fois. » Car, après tout, il s¹agit de l¹impasse dans laquelle Israël s¹est
placé depuis des dizaines d¹années, sans considérer ses actes ni ce qui
s¹est passé dans la région.
Non moins constante est cette rhétorique sophistiquée et emberlificotée de
nos relations publiques à l¹étranger, où le mot "mais" joue un rôle central
: « Je veux bien parler même au diable, et pas seulement avec le Hamas »,
dit Moyal, avant de revenir à la technique de communication officielle : «
Mais comment parler avec quelqu¹un qui veut vous éradiquer ? » Ici, nous
observons de nouveau un gambit audacieux, du genre de ceux que nous
utilisons depuis 40 ans sur tous les fronts, en même temps que nos
nombreuses opérations militaires "couronnées de succès" (« Nous voulons bien
parler à la Syrie, maisŠ »).
Tous ces efforts d¹Israël pour mener une politique étrangère rationnelle
débouchent régulièrement sur une impasse : plus il lui semble être la
victime et celui qui a raison, plus il apparaît au monde comme un pays cruel
et agressif. Et il en est arrivé là, principalement, à cause d¹une atrophie
de ses principes et d¹actions militaires effectuées comme si elles ne
résultaient que d¹un état d¹inertie. Il ne s¹agit plus là de relations
publiques. Au contraire, même. Peut-être est-ce justement à cause de sa
croyance magique dans la capacité des mots à expliquer et justifier toutes
ses contradictions qu¹Israël ne peut plus discerner ce qu¹il communique
au-delà des mots.
Ne comprend-on pas que, plus le conflit devient chronique et incurable,
moins ces nuances dans la communication israélienne sur la question de
savoir qui a raison de reprendre le cercle vicieux et sanglant sont
pertinentes ? On peut poser la même question quand on évoque un vieux compte
à régler entre une unité d¹infanterie israélienne et telle ou telle
organisation palestinienne, ou un bombardement datant de 10 ans puni par
l¹assassinat de quelqu¹un dont on détruit également la maison, que nous
payons par un petit round guerrier supplémentaire.
Car, entre-temps, alors que nous déclamons notre bon droit ainsi que la
méchanceté et l¹obstination de nos ennemis, le temps passe. Sans presque
l¹avoir remarqué, nous nous trouvons embarqués dans le même baiser de la
mort que nos ennemis et nous plongeons ensemble dans le même précipice, avec
la même mentalité qui caractérise les gangs : "honneur", "se faire justice",
"régler un compte".
Même lorsqu¹il semble "juste" de régler un vieux compte bien sanglant, dans
le cadre de cette même perspective "pédagogique" qui, de toute façon, nous
revient régulièrement dans la figure comme un boomerang, où cela nous
mène-t-il, pratiquement, moralement, et sur le plan de notre image ? Un KO
en image est suivi d¹un attentat, puis de représailles, et Israël et la
Palestine se mêlent en un même magma dégoûtant. Et la répugnance à l¹égard
d¹Israël se renforce, peut-être précisément parce qu¹on en attend encore un
petit quelque chose.
L¹adage "mieux vaut être intelligent qu¹avoir raison" n¹a jamais été aussi
vital pour Israël. Nous n¹avons pas besoin d¹une autre "réussite" sur le
champ de bataille, ni d¹un "triomphe" en termes d¹image, mais d¹une sortie
rapide du cycle du sang, par un cessez-le-feu, ou un accord raisonnable
quelconque, qui stoppera au moins la glissade vers le néant.
Car autrement, le jour n¹est pas loin où l¹on nous demandera, non pas ce que
nous faisons à Gaza et à Naplouse, mais ce que nous faisons à Sderot. Euh,
attendez une seconde, pourquoi écrire « le jour n¹est pas loin » ? Ce fut
précisément l¹une des questions posées à Moyal par la BBC cette semaine.