Amis oubliés. Pourquoi n'y a-t-il pas de noms arabes à Yad Vashem? R. Kaplan
En décembre 1942, Joseph Scemla et sa famille, prospères commerçants tunisiens en textiles, se trouvèrent subitement confrontés à un grave danger. Les troupes de l’Axe et leurs collaborateurs français, qui contrôlaient jusqu’alors les côtes du sud de la Méditerranée occidentale et menaçaient la puissance britannique en Egypte, furent mises sur la défensive par l’invasion américaine du Maroc et de l’Algérie. Cela se produisit à peu près au moment où le général Montgomery contre-attaquait avec succès par la Lybie, soutenu par les Forces de la France Libre (surtout l’infanterie sénégalaise) qui arrivaient du sud. Les Allemands décidèrent de s’incruster… et, durant quelques mois, jusqu’au printemps de 1943, la Tunisie, pays moyennement modéré, qui avait montré peu d’intérêt en matière militaire depuis Hannibal, devint l’un des principaux champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale.
Du fait de l’invasion de troupes allemandes, la seule attitude raisonnable pour les Juifs de Tunisie était de garder un profil bas, ou de partir… La famille Scemla décida de confier ses biens à un associé musulman. Malheureusement, l’associé était un informateur et il les dénonça aux Allemands au début de 1943. Trois des membres masculins de la famille Scemla – Joseph et ses deux fils – furent déportés vers des camps de concentration d’Allemagne, où ils furent mis à mort.
Le caractère inhabituel de cette amère histoire implique que l’on transférait des Juifs en Allemagne : la plupart des Juifs de Tunisie et des pays voisins sous contrôle nazi ou fasciste français, furent persécutés dans des prisons ou des camps de la région. Dans son essence, toutefois, l’histoire n’est pas inhabituelle. Les juifs de l’est avaient découvert avec stupeur que leurs voisins n’étaient que trop enclins à devenir des meurtriers quand les nazis leur en fournissaient l’opportunité. Participants volontaires, ou spectateurs indifférents, les musulmans ne se comportèrent pas mieux, durant l’Holocauste, que les chrétiens de l’Europe sous occupation nazie…
Cependant, exactement comme en Europe, il y eut sûrement des exceptions. C’est cette idée, en tout cas, qui a poussé Robert Satloff à chercher un Oskar Schindler, ou un Raoul Wallenberg musulmans. Grand expert du monde arabe, et directeur du Washington Institute for Near East Policy, Satloff est exceptionnellement qualifié pour traiter, dans toute son ampleur, la question qu’il pose dans ce triste et intéressant ouvrage : Où étaient les Arabes durant l’Holocauste ? Et plus précisément, de quel côté étaient-ils ?
Ses réponses bénéficient de la pondération que lui confèrent des années d’immersion dans la langue, l’histoire et la politique contemporaine arabes… Du fait qu’ils se considèrent comme les victimes d’une agression européenne moderne, les Arabes éprouvent de la difficulté à reconnaître qu’ils ont ne serait-ce qu’une responsabilité passive dans des événements, telle l’incarcération forcée de Juifs dans des camps situés au Sahara, où ils les torturèrent et les mirent à mort, sur les ordres d’officiers français et allemands.
Satloff comprend les sentiments mêlés d’un Tunisien, par exemple, à propos de la guerre, telle qu’elle apparaissait en 1941 ou 1942. Pourquoi ne pas prendre parti pour l’Allemagne ? La situation coloniale en Afrique du Nord était injuste et cruelle, et une victoire allemande pouvait la modifier. Mais cela n’impliquait pas nécessairement l’approbation de persécutions abominables que ne pouvait admettre l’islam, qui, comme le savaient la plupart des dirigeants musulmans, interdit explicitement le racisme. Et en effet, il y eut, relate Satloff, des musulmans qui firent ce qu’ils purent pour empêcher les persécutions.
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