n 1971, Golda Meir repoussait l'offre de paix égyptienne. Deux ans plus
tard, la guerre du Kippour éclatait. L'actuel gouvernement semble devoir
répéter la même erreur avec l'initiative saoudienne]
Yediot Aharonot, 1er avril 2007
http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3383638,00.html
L'aveuglement des dirigeants israéliens
Ze'ev Tsahor
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Un jour, début 1971, le secrétaire d'Etat américain William Rogers téléphona
à David Ben Gourion pour lui demander de parler au premier ministre de
l'époque, Golda Meir, et d'essayer de la convaincre de prendre au sérieux
l'initiative égyptienne de paix avec Israël.
Ben Gourion avait 85 ans et s'était retiré dans son kibboutz Sdeh Boker. Usé
par l'âge et les années de débats et de déceptions, il avait décidé de se
retirer de la vie politique. Ses relations avec Golda n'étaient pas bonnes,
et il n'avait pas une grande envie de lui parler.
Rogers le supplia. L'initiative égyptienne était opportune, dit-il, mais
Golda ne la prenait pas au sérieux et la repoussait avec mépris. Elle vous
admire, peut-être vous écoutera-t-elle. Ben Gourion céda et demanda à ses
collaborateurs d'appeler Golda à Jérusalem.
Cette courte conversation fut tumultueuse. Ceux qui étaient présents dans la
pièce entendirent Ben Gourion expliquer plusieurs fois à Golda pourquoi elle
devait engager des discussions avec l'Egypte, sur la base de propositions
qui donnaient une chance de conclure la paix en échange du retrait israélien
du Sinaï. Sans entendre Golda à l'autre bout du fil, il leur parut clair
qu'elle ne manifestait aucun intérêt pour l'initiative de paix égyptienne.
Ben Gourion perdit patience, accusa Golda de mener Israël au désastre, et
mit fin à la conversation. Mais, pour une raison inconnue, il plaça le
téléphone sur la table sans raccrocher. Les témoins purent alors entendre
Golda appeler "Ben Gourion, Ben Gourion!", mais il refusa de la reprendre au
téléphone, et dit sombrement : "Bientôt, une guerre va éclater." La suite
appartient à l'histoire.
Les comparaisons historiques sont en général peu valides, mais néanmoins, on
ne peut s'empêcher d'être fasciné par les ressemblances entre la démarche
égyptienne d'il y a plus de 35 ans et l'actuelle initiative saoudienne.
Aujourd'hui comme hier, ceux qui prennent les décisions chez nous sont des
politiciens sans aucune vision, la coalition dépend de petits partis ayant
chacun leurs intérêts propres, et il existe un fossé immense entre
l'arrogance des chefs militaires israéliens et l'état d'impréparation de
l'armée à la guerre. Encore aujourd'hui, l'éthos de la domination des
territoires occupés est plus fort que l'idée des droits de l'homme.
"Mieux vaut Sharm el-Sheikh sans paix qu'une paix sans Sharm el-Sheikh" (1),
déclara avec arrogance le ministre de la défense d'alors, Moshe Dayan, et il
encouragea la colonisation sur une grande échelle du Sinaï et de la bande de
Gaza. L'intransigeance de Golda et de Dayan provoqua l'échec de l'initiative
égyptienne. La guerre du Kippour n'était pas loin.
De leur génération, Rogers et Ben Gourion n'étaient pas les seuls. La
lecture des journaux de l'époque montre que beaucoup d'Israéliens avaient
compris que l'offre égyptienne constituait une occasion de faire la paix
avec l'Egypte, et que son rejet conduirait à la guerre.
Mais un coup d'oeil à l'histoire montre aussi qu'un dirigeant aveugle qui
mène de façon idiote son peuple à la guerre est bien plus fréquent qu'un
dirigeant lucide qui sait reconnaître une opportunité politique et conduit
son peuple vers la paix. Golda et Dayan faisaient partie des aveugles, et
même le grand Ben Gourion ne sut leur ouvrir les yeux.
Aujourd'hui, l'initiative saoudienne offre au Moyen-Orient une nouvelle et
rare occasion, et une fois encore, les dirigeants israéliens seront jugés
par l'histoire.
(1) Sharm el-Sheikh, situé au sud de la péninsule du Sinaï, offrait une
position stratégique sur le canal de Suez et sur la mer Rouge. Signalons,
pour l'histoire, que Dayan changea d'avis et fut parmi ceux qui négocièrent
avec Sadate la paix avec l'Egypte en échange du retrait du SinaÏ (y compris
de Sharm el-Sheikh, bien entendu).