un jour, on appelera Toulouse la ville du massacre, comme Kichinev.
Dans le fer, dans l'acier, glacé, dur et muet
Forge un coeur et qu'il soit le tien, homme, et viens !
Viens dans la ville du massacre, il te faut voir
Avec tes yeux, éprouver de tes propres mains
Sur les grillages, les piquets, les portes et les murs,
Sur le pavé des rues, sur la pierre et le bois,
l'empreinte brune et desséchée du sang, de la cervelle,
Empreinte de tes frères, de leurs tètes, de leurs gorges.
Il te faut t'égarer au milieu des décombres,
Parmi les murs béants, leurs portes convulsées,
Parmi les poêles défoncés, les moitiés de chambres,
Les pierres noires dénudées, les briques à demi
brûlées
Où la hache, le feu, le fer, sauvagement
Ont dansé hier en cadence à leurs noces de sang.
Et rampe parmi les grenier, parmi les toitures
crevées,
Regarde bien, regarde à travers chaque brèche
d'ombre
Car ce sont là des plaies vives, ouvertes, sombres
Et qui n'attendent plus du monde guérison
Tu iras par les rues qu'envahissent les plumes
Tu te baigneras dans un fleuve, un fleuve blanc
Qui de l'homme est issu, de sa sueur sanglante.
Tu foules des monceaux de biens éparpillés
Et ce sont là des vies entières, des vies entières
Fracassées à jamais comme des cranes.
Chaim-Naham Bialik (1873-1934), la ville du massacre in Anthologie de la poésie yiddish, traductions de Charles Dobzynski, poésie Gallimard.