Eliette Abécassis
Il y a quelques années… Il y a quelques années encore, je sortais dans la rue avec une étoile de David autour du cou. Il y a quelques années encore, je n’avais pas peur d’emmener mes enfants à l’école. Il y a quelques années, il était possible d’enseigner la Shoah dans tous les collèges et les lycées. J’osais aborder le thème d’Israël avec mes amis non-juifs. Il y a quelques années, j’ai donné à ma fille un prénom français. Je l’ai inscrite à l’école publique, sans penser qu’un jour je devrais l’en retirer par peur qu’on ne la frappe parce qu’elle était juive. Je ne voyais pas apparaître des caricatures dignes des années Trente sur Internet. Je ne trouvais pas non plus quantité de sites répertoriant les noms des personnalités juives en France. Je ne rencontrais pas sur Google, You Tube ou Facebook des propos antisémites. Et dans le bar d’un grand hôtel, je n’avais pas entendu les délires d’un vieux fou, qui n’était ni vieux ni fou. Il y a quelques années, je lisais les journaux. Je regardais les nouvelles à la télé. Pour moi, la Shoah était incompréhensible. Je me disais : plus jamais ça ! Et surtout, je me demandais : pourquoi les Juifs ne sont-ils pas partis à temps d’Allemagne, alors que tant de signes inquiétants auraient dû les alerter ? Il y a quelques années, je ne me savais pas en exil sur ma terre natale. La France était mon pays, ma culture, ma façon d’être et de penser. Je pensais que nos dirigeants nous protégeaient. Il y a quelques années, je partais en vacances dans les pays arabes. J’aimais aller sur la trace de mes ancêtres, les Sépharades. Ceux qui furent massacrés à Grenade en 1066 par une foule qui haïssait les Juifs qui, disaient-ils, étaient riches et puissants. Ceux qui, victimes de l’Inquisition, furent obligés de se cacher ou de partir. Il y a quelques années, je ne pensais pas devenir marrane. Il y a quelques années encore, je ne pensais pas entendre scander des slogans anti-juifs dans la rue. Il y a quelques années, j’avais foi dans l’homme. Il y a quelques années, Ilan n’était pas mort. Myriam, Gabriel, Arié et Jonathan étaient encore en vie. Il y a quelques années, il était encore possible d’être juif en France.