Ha’aretz, 11 janvier 2008
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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
La semaine dernière, quelques-uns des partisans du député Haïm Oron dans la course à la direction du parti Meretz l’informaient de leur décision d’engager un chauffeur. Depuis des années, Oron se déplace par lui-même de son kibboutz Lahav, au nord du Néguev, à la Knesset ou au QG du Meretz à Tel-Aviv. Même lorsque sa journée de travail se termine à minuit, il insiste pour conduire sa Ford Mondeo et rejoindre sa femme Nili. A la nouvelle, Oron réagit par un éclat de rire et un peu d’embarras : « Pourquoi diable un chauffeur ? Moi, un chauffeur ? Vous êtes devenus fous ? Pas question. » Danny Jacobson, professeur à l’université de Tel-Aviv et fervent partisan de la candidature d’Oron, explique : « C’est une question de vie ou de mort. Il est vrai que nous n’avons pas beaucoup d’argent, mais si, par malheur, quelque chose lui arrivait, même quelque chose d’anodin, à quoi bon la campagne que nous menons ? Oui, il s’y est opposé vigoureusement, parce qu’il vit et respire l’esprit du kibboutz et de l’Hashomer Hatzaïr (mouvement de jeunesse de gauche) pour qui personne n’a de privilèges, pour qui il est mal de dorloter les gens, mais je pense que nous avons réussi à le convaincre de l’importance de la chose. »
Haïm Oron aura bientôt 68 ans. Jusqu’à l’annonce de sa candidature, il y a un mois, son intention était d’effectuer son dernier mandat de député. Il pensait s’investir davantage dans la vie du kibboutz, passer plus de temps avec Nili et leurs huit petits-enfants, voyager et étudier. Oron n’a aucun diplôme à part un bac qui remonte aux années 50, période où il choisit d’aller dans le Néguev appliquer les principes du mouvement de jeunesse au sein duquel il était très actif.
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Alors qu’il clamait n’avoir aucune ambition, ni d’être député, ni de devenir secrétaire exécutif du Kibboutz Artzi (organisation des kibboutz de l’Hashomer Hatzaïr au niveau national), là encore, il s’est laissé pousser dans la course par de fortes pressions ou, comme il aime à le dire, par « la décision du mouvement. »
« Le mot ‘pression’ est tout à fait approprié dans ce cas précis », dit Amos Oz, l’un des amis les plus proches de Haïm Oron depuis 30 ans, aux débuts du mouvement Shalom Arshav. « Jumes n’avait pas envie de se présenter à la présidence du Meretz », continue Amos Oz, en utilisant le surnom de Haïm Oron. « Lors des épisodes précédents, il a repoussé toutes les requêtes, y compris la mienne, mais aujourd’hui, compte tenu des circonstances, dans le parti, à gauche et dans la société israélienne, il a reconnu que c’était la bonne décision. Il a accepté la décision du mouvement et ce n’est pas seulement une expression creuse. Il ne brûle pas d’ambition d’être le n° 1. En réalité, il a moins d’ambition que la plupart des politiciens, et là réside sa force et non sa faiblesse. C’est la dévotion à la cause qui le pousse. Il excelle dans les relations humaines, aime travailler en équipe et il a une capacité tout à fait extraordinaire à analyser la situation politique. J’ai depuis très longtemps le sentiment que Jumes doit conduire le Meretz et le renforcer. »
- Comment renforcer le Meretz dans sa situation actuelle ?
- « En dramatisant ses positions politiques. »
- Oron est-il homme à dramatiser ?
- « Cela sera fait avec l’aide d’autres. C’est un dirigeant qui partagera le travail avec tous, et cela me rend heureux. »
Outre Amos Oz et Jacobson, Oron compte parmi ses soutiens des militants et des intellectuels comme Yaïr Tsaban, Elazar Granot, Nissim Kalderon, Avishaï Grossman, Danny Filk, Aliza Amir et Yossi Proust. Tous, à l’exception d’Amos Oz, se sont réunis il y a un mois au domicile de Shoulamit Aloni, ancienne députée et ministre, fondatrice du Meretz, pour tenter de convaincre Oron de se présenter.
Shoulamit Aloni raconte : « Jumes persistait dans son refus, mais nous avons continué à le harceler. Nous lui avons dit qu’il ne pouvait pas déserter. Vous ne trouverez personne qui n’ait du respect pour lui. Il est vrai qu’il n’est pas très célèbre, et qu’il ne poursuit pas ses assistants pour voir son nom dans la rubrique des potins. Nous ne sommes pas comme cela, des gens qui se soucient de leur coiffure et de leur costume. Jumes dit la vérité, il n’a pas peur de l’idéologie, et peu à peu, il apprendra aussi à se vendre. Ca va marcher. »
Après cette réunion, disent ses amis, Oron s’est senti très mal, surtout à cause de la présentation d’un scénario selon lequel le Meretz serait balayé aux prochaines élections, sans même un député à la Knesset. Après sa déclaration de candidature, les compliments ont afflué de toutes les directions. Journalistes, personnalités et collègues députés, tous louent ses qualités : parlementaire diligent, intègre, fouineur, personnalité authentique mais néanmoins affable et aimée de tous (à part, probablement, de quelques membres du Meretz). D’autres, moins nombreux, le présentent comme un homme de compromis, qui recherche à tout prix le consensus, naïf, sans le talent oratoire flamboyant d’anciens dirigeants du Meretz comme Shoulamit Aloni ou Yossi Sarid, et, par-dessus tout, membre d’un kibboutz, ce qui en fait le défenseur d’un secteur particulier de la société.
Haïm Oron : « Compromis ? En quoi ? J’ai été l’un des leaders de l’Initiative de Genève. Y a-t-il plus une idée plus radicale que Genève ? Sur les questions sociales, je ne crois pas qu’il y ait un membre de la commission des Finances plus à gauche que moi. Le style, c’est autre chose. Je ne crois pas nécessaire d’arracher les yeux de quelqu’un pour dire que je suis en désaccord. Je peux considérer son approche avec respect, tout en lui disant les choses les plus radicales. (...) »
- Et la naïveté ?
- « C’est ma tendance à écouter les opinions des gens, à essayer de les comprendre. Cela vient peut-être d’une confiance, parfois excessive, dans mes propres positions. Je n’ai pas peur d’écouter ni de me confronter à d’autres. Je suis au courant de toutes sortes de mauvais procès qu’on me fait : Jumes l’étatiste, ou Jumes dont l’électorat va se faire avoir parce qu’il va se préoccuper du kibboutz voisin davantage que du sien. Et, finalement, on m’accuse de privilégier un secteur. »
La place que Haïm Oron préfère est celle de n° 2. C’est là qu’il s’épanouit, en responsable efficace mais dans l’ombre. Celui qui connaît tous les détails d’un budget, qui domine les autres membres de la commission des Finances, dont la crédibilité l’a mené une deuxième fois à la tête de la commission d’Ethique de la Knesset, etc.
- Vous avez déclaré en avoir assez de ce genre d’activité. Comment comptez-vous maintenant convaincre les gens de voter pour vous à la tête d’un parti ?
- « Je sais ce qui se dit, que même si j’étais n° 2, rien ne pouvait se faire sans moi. Pour moi, à la Knesset, je me considère comme quelqu’un qui vient travailler, tout simplement. J’arrive vers 8h et je me mets au travail, sur un projet de loi, sur la commission des Finances ou sur des requêtes du public. J’essaie d’être prêt, de lire les textes pertinents, de faire un effort. Mais c’est en pleine connaissance de cause que j’ai décidé de me présenter, et si je gagne (et que ce soit clair : je n’ai pas encore gagné), je ne ferai pas un one man show. Je crois au modèle de la direction collégiale, où tout le monde peut s’exprimer. »
Critique implicite de Yossi Beilin, le président sortant. Oron, qui a décidé de mener une campagne positive sans dire du mal de ses collègues du parti, choisit ses mots avec précaution : « Yossi a opté pour un certain modèle de leadership qui n’a pas convenu au Meretz. Il est faux de croire que, dans un si petit parti, on puisse parler à plusieurs voix et que les choses fonctionnent. Nous avons eu des débats là-dessus. Dans un parti comme le Meretz, il n’est pas possible d’avoir cinq députés qui parlent de cinq manières différentes. »
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A Ramat Gan où il a grandi, et au mouvement de jeunesse, on appelait Oron « jamus », un buffle d’eau, parce qu’il était « gros et noir, » surnom transformé plus tard en « jumes », le fruit du sycomore.
Les parents d’Oron ont immigré de Pologne en Palestine avant la deuxième Guerre mondiale. Son père était ouvrier dans le textile, sa mère était femme au foyer. Pour arrondir leurs fins de mois, ils fabriquaient des rideaux sur commande. Haïm a rencontré Nili au mouvement de jeunesse. Depuis, ils ne se sont plus quittés. Au kibboutz Lahav, Haïm a été enseignant et a travaillé dans plusieurs secteurs du kibboutz : le poulailler, les champs, l’usine de saucisson (de porc). De plus, il a fait partie de toutes les commissions du kibboutz, a travaillé à l’usine de plastique, qu’il a un moment dirigée, a été secrétaire exécutif du kibboutz, position qu’il a également occupée pour le mouvement Hashomer Hatzaïr, a été deux fois secrétaire national du Kibboutz Artzi, et parmi les fondateurs de Shalom Arshav.
Elu à la Knesset pour la première fois en 1988, sur la liste du Mapam (branche politique du kibboutz Artzi qui s’est plus tard fondue dans le Meretz), il est nommé en 1994 trésorier de la fédération des syndicats (Histadrout), puis, en 1999, ministre de l’agriculture dans le gouvernement Barak.
D’après l’Initiative de Genève, dont Oron ne doute pas qu’elle sera pleinement appliquée dans le cadre d’un accord avec les Palestiniens, la frontière de l’Etat de Palestine passera à 800 m de chez lui. Quand ce jour arrivera, personne ne sera plus heureux que lui.
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Oron a toujours été attentif aux difficultés de la population bédouine du Néguev, avant même son élection à la Knesset. Lors d’une visite au village « non reconnu » d’Oumm Batin, il désigne, de l’autre côté de la route, les villas d’Omer, banlieue chic de Beer Sheva, visibles entre les arbres : « Vous avez ici, à moins d’un kilomètre de distance, le fossé socio-économique le plus profond du pays. »
Oumm Batin, qui est constitué principalement de cabanes en tôle, n’a ni électricité ni eau courante. En revanche, il reçoit les eaux du ruisseau de Hebron, aujourd’hui réduit à un simple conduit d’égout malodorant et toxique, dont la source est à Hebron et dans des villages juifs et bédouins. Salameh Abou Kaf, militant du Meretz, décrit la puanteur insoutenable et l’aspect repoussant de l’endroit, comment les insectes attirés l’été par l’égout mordent les enfants, dont certains ont fini à l’hôpital dans un état grave.
Avec l’aide d’Oron, une usine d’assainissement va être construite, qui produira de l’eau propre à l’irrigation. Il a également contribué à la création d’un dispensaire et d’une école d’infirmières, avec l’aide de Yossi Sarid, alors ministre de l’éducation. Il y a quelques années, dit Ali Abou Kaf, proviseur de l’école régionale, un enfant du village a été hospitalisé à l’hôpital Soroka de Beer Sheva, mais ses parents ne pouvaient pas payer les facture de 67.000 shekels. Le député Talab al-Sana (Liste arabe unie) a tenté pendant un mois de trouver une solution, « mais sans succès. Je me suis alors tourné vers Jumes. Je lui ai écrit une lettre, et le lendemain, j’avais rendez-vous avec le directeur de Soroka. Deux jours plus tard, la facture était réduite des deux tiers. »
« Et que s’est-il passé ensuite ? » demande Oron avec un sourire. « C’est Talab al-Sana qui s’en est attribué le mérite », répond Ali Abou Kaf.
Et avec toutes ces aides, les habitants du village ont-ils voté Meretz ? « Très peu », dit Salameh Abou Kaf.
Cette histoire reflète deux des problèmes de Haïm Oron. L’un, bien connu et tragique pour le Meretz, est qu’Oron et ses collègues travaillent pour le bien de gens qui ne les paient pas de retour par leur vote, piège auquel le parti n’a pas su trouver de solution. Le deuxième est qu’Oron laisse d’autres s’attribuer le mérite qui lui revient. Un des exemples frappants est l’Initiative de Genève, identifiée la plupart du temps à Yossi Beilin.
D’après une source très impliquée dans les négociations, Oron « a été la force motrice de Genève, la fourmi industrieuse qui arrangeait tout mais restait dans l’ombre alors que d’autres étaient dans la lumière. Au cours des négociations, il y a eu de très graves désaccords, et il a été celui qui a su formuler les compromis. Par deux fois au moins, elles ont failli capoter. Je me souviens d’une crise très grave avec les Palestiniens sur les réfugiés et sur les prisonniers, et Jumes, dans ses sandales « bibliques » ( « tanakhim », sandales typiques du kibboutznik, ndt) s’est mis devant tout le monde et a dit : ‘Ecoutez, vous rendez-vous compte des conséquences si nous ne réussissons pas à nous mettre d’accord, nous, le camp de la paix ?’ Il faisait le lien entre tout d’une manière managériale, sans tricherie ni médisance. »
Qaddoura Fares, importante personnalité au sein du Fatah, pour qui Oron est « l’un de mes amis loyaux », raconte : « Il était très dominant et nous a encouragés tout du long à progresser. Il se fichait de ce que les journaux et les livres d’histoire raconteraient sur lui. Il traitait l’accord comme s’il allait être appliqué le lendemain. Il est loyal au sionisme et à son pays, mais en même temps, il est attentif à nos problèmes. Son approche est très cohérente, et il ne parle pas plusieurs langages. Il a été la personne qui a eu le plus d’influence du côté israélien, et jamais il n’est tombé dans le désespoir qui a saisi plusieurs d’entre nous. Je ne veux pas rabaisser les talents de communicateur de Beilin au niveau international, mais sans Jumes, l’Initiative de Genève n’aurait pas vu le jour. »
Qaddoura Fares a commencé à rencontrer Haïm Oron il y a plus de 10 ans, avec son collègue Marwan Barghouti, actuellement condamné à perpétuité et emprisonné en Israël pour activités terroristes. Depuis lors, des relations de confiance se sont développées entre Oron et les deux Palestiniens. « Jumes n’a jamais cru à l’image de monstre qu’Israël voulait donner de Marwan », dit Fares. « Je jure sur le Coran que si Jumes était premier ministre et Marwan président de l’Autorité palestinienne, nous aurions la paix dans les six mois. »
Oron : « Je connais Marwan depuis bien longtemps avant son emprisonnement. Il y a eu une longue période pendant laquelle, quand nous nous ennuyions à la Knesset, Dadi Zucker (ancien député du Meretz) et moi allions à Ramallah manger un houmous avec Marwan et Fares. A certain point de son emprisonnement, j’ai demandé à lui rendre visite, alors qu’il était encore soumis au régime de l’isolement. Depuis lors, pendant plus de trois ans, je lui ai rendu visite régulièrement, tous les 8 ou 15 jours. Seul peut-être son avocat le voit plus que moi. Au plan personnel, nous avons réellement tissé des relations proches. Nous parlons beaucoup de sa famille, et de ce qu’il subit. »
D’après certaines informations Oron serait le médiateur ou l’agent de liaison entre Barghouti et le gouvernement israélien [2] . Bien entendu, Oron dément : « Je ne suis pas un médiateur et je n’en ai pas le mandat. Depuis mon poste dans l’opposition, j’essaie de maintenir vivante la piste du dialogue avec un responsable important de la direction palestinienne, dont je sais qu’il souhaite parvenir avec nous à un accord le plus rapidement possible et dont les positions politiques sont à peu près connues. »
[1] Haïm Oron fait partie des personnalités interviewées par David Chemla dans son livre Bâtisseurs de Paix, ed. Liana Levi, 2005, pp. 167-177.
[2] Cf. « Un député du Meretz était le lien entre Barghouti et Sharon puis Olmert