Dimanche 11 Mai 2008, sur TF1 à 20 h.50
Pearl Harbour (2001)
Film de Michael Bay, avec Ben Affleck, Josh Hartnett, Kate Beckinsale, Alec Baldwyn.
En 1940, la guerre fait rage en Europe. Rafe et Danny, deux amis d’enfance passionnés d’aviation, se retrouvent élèves pilotes de l’US Army Air Force. Rafe tombe amoureux d’Evelyne, une infirmière. Peu après, il part pour l’Europe, combattre dans l’aviation anglaise. Pendant ce temps, Evelyne et Danny sont mutés à Pearl Harbour, une île de Hawaï où stationne la flotte. Un jour, Danny apprend la mort de Rafe. Il console alors Evelyne éplorée. Mais Rafe réapparaît, à la stupéfaction de tous. Violente rivalité entre les deux amis. Mais un dimanche matin, surgissent des centaines d’avions japonais..
Michael Bay se fiche de la vraisemblance historique comme de sa dernière chemise. Spectaculaire en diable, ce révisionisme cinématographique finit par agacer.
Ce film bétisier comporte prés de QUARANTE HUIT ERREURS. (énumérées ici)
Avec les apports des techniques nouvelles et des effets spéciaux, Michael Bay a réalisé un film impressionnant, efficace, qui réunit la violence du « Soldat Ryan » et le romantisme de « Titanic ». Mais c’est un peu trop racoleur, avec un spectaculaire de bazar, des invraisemblances et des erreurs qui enlèvent toute crédibilité.
Au premier degré, bien sûr, on est coincé, scotché, tétanisé par des scènes de guerre et de combat, voire même par quelques autres.
Le match de boxe du cuinier noir, trop violent pour être vrai, on croirait entendre craquer les dents (1). Des coups de cette violence auraient dû amener les protagonistes à l’hôpital. Recherche du sensationnel par l’outrance numérisée. Combats aériens, chutes de bombes, trajet des torpilles, suivis sur un mode réaliste, avec une précision de jeu électronique. C’est beau, l’informatique et les effets spéciaux. Si on se réfère aux films précédents, ayant traité la même guerre, Tant qu’il y aura des Hommes, Trente Secondes sur Tokio, Tora Tora Tora, avaient une toute autre sensibilité, plus d’authenticité… mais pas les effets spéciaux.
Encore une chance que, lors des séquences érotiques, le même procédé n’ait pas été appliqué, nous aurions eu droit au moindre spasme de l’éjaculation de Danny !
L’attaque de Pearl Harbour est apocalyptique, grotesquement exagérée. Les réalisateurs ont forcé la dose sur les explosions sensationnelles. Dans la véritable attaque, les explosions ont été certainement moins nombreuses, moins rapprochées, moins énormes (2). S’il y avait eu vraiment cet apocalypse, ce n’est pas 2500 morts que l’attaque aurait faits, mais 25.000.
Les avions japonais ne volaient certainement pas à si basse altitude (3) (ils étaient vraiment TROP BAS dans le film, et sans crainte d’accidents, puisque ce n’étaient que des images virtuelles). A noter aussi que ces avions virtuels étaient beaucoup trop lents (4) par rapport aux vrais ; mais peut être était-ce pour que les spectateurs aient le temps de bien les voir ?
Les bombes ? Elles tombent en chapelet, sagement espacées (5) comme si elles étaient lâchées d’un avion volant à cent kilomètres heures !. En réalité, les vraies bombes arrivaient A LA VITESSE DE L’AVION, les bombes en chapelet provoquant une fulgurante galopade d’explosions très rapprochées. Presque une seule explosion linéaire.
Il y avait pourtant de gros moyens, et un « certain » effort de reconstitution, dommage que cela ait été gâché par la négligence et l’incompétence.
Dés le début, dans le contexte du récit ; un pauvre paysan, vétéran de 1918, aurait dû posséder en 1923, tout au plus un avion des surplus, un Curtiss Jenny, rapiécé& et brinqueballant (voir la séquence mémorable qui en montre un, dans le film de Stanley Kramer « Un monde fou fou fou ».. A la place on aperçoit… un rutilant biplan d’acrobatie Stearman (6). Or, le premier Stearman a volé en 1934 ! On aperçoit aussi une voiture Ford Model A de 1929, qui n’existait pas en 1923 !
Dans les séquences tournées à l’Eagle Squadron, en 1940-41, on aperçoit, pêle mêle, avec les Spitfire d’époque, des Spitfire IX de 1943 (7). Détail pas anodin. Les deux versions étaient bien différentes, l’avion de 1943 avait une hélice à quatre pales au lieu de trois, un capot plus long, et des canons dans les ailes.
A Pearl Harbour, décembre 1941, des Jeeps circulent, nombreuses, alors que les premiers prototypes étaient encore aux essais à Hollabird, aux USA. La Jeep, Willys ou Ford, n’a vraiment été diffusée qu’en 1942 (
Plus particulièrement, énorme bourde, une Jeep grise, sur le terrain de golf qui est du modèle M.38 de 1948 (9).
Les ambulances évacuant les blessés sont des Dodge WC.54 de 1942. (10)
Tout ce matériel n’existait pas en décembre 1941.
Les bombardiers du raid sur Tokio sont du type J, de 1944, avec poste de tir arrière, ceux du raid Doolittle sur Tokio, en avril 1942 étaient des B.25C, sans poste de tir à l’arrière. (11)
C’est d’autant plus dommage que l’effort de reconstitution a quand même été entrepris, pour d’autres petits détails d’uniformes, de coiffure féminine et masculine. Les drapeaux américains, pour une fois, sont de vrais drapeaux d’époque à 48 étoiles.
Anachronisme de morphologie. Les jolies infirmières sont, physiquement (et moralement) des filles de l’an 2000. Elles sont un peu trop minces et graciles pour l’époque(12), Quant à leur comportement amoureux… c’est celui des femmes libérées du XXIe siècle. Il suffit de comparer avec le comportement des femmes dans les films réellement tournés à l’époque. Aucune femme de 1941 n’aurait débattu des mecs et de sexe, avec ses copines, avec cette liberté de ton canaille, sauf peut être les prostituées de bas étage. (13). Il y a un gros décalage dans les comportements. Kate Beckinsale (Evelyn), est mignonne selon les canons de beauté actuels seulement. Elle n’a rien de Teresa Wright, Virginia Mayo , Ginger Rogers ou Linda Darnell. Choquante erreur de casting.
Les Japonais ont des commentaires d’un cynisme et d’une brutalité réellement répugnants. Ils apparaissent aussi antipathiques que dans les pires films de propagande des années de guerre (14) Dans Tora Tora Tora (1982) ils apparaissaient moins féroces, plus dubitatifs, un peu trop grandiloquents, peut être. A noter que la version du film destinée au Japon a été « expurgée ».
Et le bétisier continue de défiler, comme un jeu des erreurs.
Les plaques d’identité pendues au cou des pilotes de 1941 sont du modèle 1950, en métal blanc, et sans encoche.(15)
Le cas insolite de Rafe Mc Cawley (Ben Affleck), un pilote de l’USAAF transféré à l’aviation anglaise. AUCUN officier américain ne fut transféré dans ces conditions, à un moment où les USA n’étaient pas en guerre avec l’Allemagne (16). Il y eut, bien sûr, une « escadrille des aigles » composée de pilotes américains, mais civils, venus sans aucun lien officiel avec les forces armées américaines.
Les officiers aviateurs américains portent des baudriers de cuir sur leur uniforme ! L’Army Air Corps avait abandonné cet accessoire en 1937, l’estimant incompatible avec le harnais du parachute (17)
Kate Beckinsale (Evelyn Johnson), l’amoureuse au cœur d’artichaut, en principe infirmière de la Navy, est officier. Mais elle ne porte des insignes de son grade qui ne sont apparus que l’année suivante, en 1942.(18).
L’amiral Kimmel « pressent » une attaque japonaise imminente, et le dit, dans le film. Dans la réalité, le pauvre homme n’a absolument rien pressenti.(19).
Les séquences navales sont déconcertantes. L’emplacement des navires change sans arrêt, selon les scènes (20).
Une superstucture tripode s’effondre, spectaculairement. Dans la réalité, aucune n’est tombée (21)
La position des navires, outre qu’elle est variable, est aussi pivotante. Par rapport à l’île Ford, ils sont de face, là où ils devraient être de dos, et inversement. (22)
Les séquences du coulage de l’Arizona et de l’Oklahoma ont été carrément inversées. Dans l’attaque réelle, c’est l’Oklahoma qui a été torpillé, et a commencé à couler, tandis que l’Arizona explosait quelques minutes plus tard (23)
L’Oklahoma, chaviré, est montré avec quatre hélices. Le bateau réel en avait deux, mais les réalisateurs ont confondu avec l’Arizona (24)
Il n’y a pas eu d’appel de clairon, pour le branle bas de combat. On l’a signalé aux réalisateurs en cours de tournage, mais ils n’en ont pas tenu compte (25)
Dans certaines séquences, pour représenter des porte avions japonais, on a tout simplement choisi de montrer des parties de pont de porte avions américains actuels. Peut être pour faire des économies sur les effets spéciaux ? (26)
Les avions japonais virtuels étaient des avions de porte avions, donc de la marine impériale. Ils auraient dû être gris. Or, ils portent la couleur verte des avions de l’armée. On en a avisé les réalisateurs, qui ont tranquillement préféré la couleur verte (27)
Autre délire : des avions torpilleurs japonais Kate, portant des torpilles bien visibles, sont affectés à des attaques d’aérodrome ! (28). La torpille, lancée en mer, n’est efficace que contre des bateaux !
Sur le porte avions japonais, un officier vient dire à l’amiral Yamamoto « Le colonel Fuchida annonce que l’attaque a réussi. » Mitsuo Fuchida, officier de marine, était Commander (29)
Quant à l’amiral Yamamoto, il n’était pas sur ploace, mais à bord d’un cuirassé, au Japon (30).
L’acteur John Voigt dans le rôle du président Roosevelt, prononce le fameux « day of infamy », quelques heures trop tôt, par rapport à la réalité (31)
La séquence où Roosevelt, pour montrer sa volonté de combattre, parvient à se lever hors de son fauteuil d’infirme, devant son état major médusé, est de pure fiction (32)
On a utilisé, pour une séquence dramatique de torpillage, le film de la destruction de la frégate britannique de 1960 HMS Rothesay, pendant des tests en 1980 (33).
Dans la scène dramatique du hangar, où Doolittle demande des volontaires, et qu’ils font TOUS un pas en avant, pour une mission secrèete et dangereuse, il fait soleil, et sec. Mais le sol est mouillé, au bon endroit, pour bien refléter le cuir des chaussures (34)
L’héroïque cuisinier black, Dorie Miller, incarné par Cuba Gooding Jr. Ouvre le feu sur les avions japonais avec une mitrailleuse jumelée (double) de .50, arme de l’Air Force qui ne fut produite pour la marine qu’en 1943. Le vrai Dorie Miller a tiré avec un affût simple de Browning .50 à refroidissement par eau, arme très différente.(35)
Sur l’aérodrome de Pearl Harbour, sont alignés les avions de chasse P.40 C Tomahawk. Ce sont des maquettes en vraie grandeur, construites exprés pour le film, puisqu’ils sont détruits par mitraillage. Lamentable et impardonnable erreur des conseillers. Au lieu de faire des P.40C, ils ont façonné des P.40E Kittyhawk de 1943. L’avant de l’avion est totalement différent. (36)
Les Japonais sont montrés, regardant un calendrier indiquant 7 Décembre 1941. Mais les montres, à bord des navires japonais étaient à l’heure de Tokio. Au moment de l’attaque, ils étaient déjà le 8 Décembre. A noter (tout de même) que dans la version de ce film destinée au Japon, le calendrier indique la date du 8 ! (37)
L’amiral Kimmel est montré, sur un terrain de golf à 7 h.20 du matin, quand il apprend l’intrusion d’un sous marin japonais à l’entrée de Pearl Harbour. Dans la réalité, Kimmel ne devait pas jouer au golf ce 7 décembre. Et sûrement pas si tôt. Il n’était pas encore habillé quand ce message lui est parvenu (38).
Quant à la séquence amère où l’amiral froisse et jette à l’eau le message tardif qui lui annonce l’attaque, elle est fausse. Kemmel n’a jamais reçu un tel message.(39)
Autre consternante improvisation : dans la séquence de combat avec des avions allemands, Raffe combat des… « Buchon » de 1950, des Messerschmitts de fabrication espagnole, d’après guerre, et dotés de moteurs anglais ! Là aussi, avion très différent. Mieux eut valu utiliser des avions virtuels.(40)
Autre aberration, administrative celle là, de muter des pilotes d’avions de chasse P.40 sur des Bombardiers B.25. En 1942, les vrais pilotes du raid sur Tokio étaient totalement spécialisés au pilotage de ce type d’avion. Presque des pilotes d’essai d’un avion qu’ils connaissaient à fond. (41)
Juste avant l’envol du porte avions, la mauvaise farce de mettre des manches à balai à arrière de l’avion « pour faire croire aux chasseurs japonais que c’était une mitrailleuse ». Là, on prend les aviateurs japonais (et les spectateurs du film) pour des cons. (42)
Le raid véritable sur Tokio, Nagoya, Kobé, etc… a été un raid d’avions solitaires. Il n’y a pas eu de vol en formation comme montré dans le film. Chaque avion avait SA liste d’objectifs et a perdu de vue les autres avions, pratiquement dés le départ. Il aurait été suicidaire, après le décollage du Hornet, de perdre du temps (et du carburant) à attendre le décollage de tous les autres avions, uniquement pour faire un joli vol de parade devant la caméra (43)
Encore plus ahurissante, la présence de la tendre héroïne au cœur de la salle d’opérations pendant l’une des missions les plus secrètes de la guerre. Même si elle avait sauvé la vie d’un officier responsable en lui tenant l’aorte pincée . (44).
Improbable aussi, la qualité des transmissions, de qualité NASA au moins, qui permet aux chefs, à Hawaï, d’entendre en direct les conversations des équipages en action, au dessus de Japon. En 1942 !(45)
L’héroïque combat sur le sol chinois contre les cruels Nippons est aussi une élucubration des scénaristes, aucun équipage du raid Doolittle n’a connu ces péripéties sanglantes et héroïques (46).
Autre complaisance du scénario, c’est le petit brun mignon (Josh Hartnett) qui DEVAIT mourir pour sauver la vie de son ami, puisqu’il avait couché, et avait fécondé, la fiancée de celui-ci. La mort de Ben Affleck, dans ce contexte, aurait été odieusement injuste. Le baiseur meurt, et le cocu survit. C’est dans la nature d’un bon scénario. Il fallait donner du bon et du mauvais à l’un et à l’autre, tenir la balance équilibrée. C’est tout l’art du scénariste de doser les avantages et les inconvénients de chaque rôle. C’est racoleur mais classique. Et c’est le bon con de cocu qui révèle à son ami agonisant « Tu vas être papa ! ».(47)
Un dernier point. Alec Baldwyn est un acteur trop connu pour jouer un Doolittle vraisemblable.. Il n’existait donc pas un petit mec trapu et chauve, dans les castings de Hollywood ? Baldwyn est grotesque, avec ses airs de grand chef entraîneur d’homme coincé, ascétique, rigide. Tout le contraire de ce qu’était le vrai Doolittle.(48 )
Pour conclure, ce film est un super nanar, une daube à grand spectacle. Il ne faut pas y chercher un documentaire historique, ni même une vraie reconstitution. Tout juste une histoire d’amour avec de grosses ficelles, des acteurs marionnettes manipulés par des scénaristes irréalistes, au mépris de toute logique.
C’est peut être de ce film que date le déclin des films de guerre américains, un genre pollué désormais par tous les poncifs pacifistes.