Ha'aretz, 19 juin 2007
http://www.haaretz.com/hasen/spages/872395.html
La crise humanitaire ne les émeut pas
Nehemia Strasler
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Du point de vue du leader du Likoud, Benjamin Netanyahou, la prise de la
bande de Gaza par le Hamas prouve que la droite a eu raison depuis le début.
Israël ne devait pas quitter Gaza en 2005, ni le Liban en 2000, dit
Netanyahou. La conclusion de Netanyahou et de Tsvi Hendel (Union nationale,
extrême droite) est qu'Israël ne doit négocier ni sur le Golan ni sur la
Cisjordanie, car le président syrien Bachar Assad n'est pas fiable et le
président palestinien Mahmoud Abbas est faible.
Avec de telles positions, on pourrait vite oublier que des roquettes étaient
tirées sur Sderot alors qu'Israël occupait Gaza. Le Hamas aurait pu prendre
le pouvoir à Gaza même si les colonies étaient restées aux mains d'Israël.
Sauf que si Israël ne s'était pas retiré de Gaza, les Palestiniens auraient
tiré sur les colons, et l'armée israélienne aurait payé un prix très lourd
pour les protéger.
Mais le nombre de morts n'émeut pas Netanyahou et Hendel. Selon eux, nous
vivrons toujours par le glaive pour les 100 ans à venir. Pas plus que ne les
émeut la crise humanitaire à Gaza. Ils pensent qu'Israël s'est montré très
charitable envers les Arabes de Gaza et de Cisjordanie, car leur niveau de
vie a augmenté au cours des années d'occupation.
Sauf que les chiffres indiquent le contraire. En 1970, le PNB en Cisjordanie
était de 250$ par tête. il est aujourd'hui de 1.300$, soit une
multiplication par 5 en valeur nominale. Pendant la même période, la
Jordanie a connu une multiplication par 10 du même taux : de 280$ à 2.800$.
De même à Gaza : le PNB est passé de 170$ par tête en 1970 à 1.000$
aujourd'hui, soit une multiplication par 6. En Egypte, ce taux est passé de
200$ à 1.800$, soit une multiplication par 9. Autrement dit, les conditions
de vie des Palestiniens sous occupation israélienne ont empiré par rapport
au reste de la région, sans parler de l'énorme fossé entre eux et nous. Le
PNB israélien par tête est de 20 fois supérieur à celui des Palestiniens.
Israël a honteusement utilisé les ressources de la Cisjordanie et de Gaza,
se servant comme le propriétaire des territoires occupés. Pendant des
années, Israël a empêché les territoires palestiniens de se développer et
d'y implanter des usines : les industriels israéliens s'y sont opposés. Mais
une main d'oeuvre bon marché et humiliée a été exploitée. Les Palestiniens
faisaient la queue pendant des heures au point de passage d'Erez dès 2 h du
matin pour un jour de travail en Israël. Israël a aussi considéré les 3,5
millions d'habitants de Cisjordanie et de Gaza comme un marché captif pour
les produits israéliens, en général ceux de qualité inférieure. A ce jour,
des usines israéliennes spécialisées dans l'industrie de la mode continuent
à exploiter la main d'oeuvre bon marché de Gaza pour des tâches de couture
très simples.
De plus, Israël a empêché l'Autorité palestinienne d'installer une grosse
centrale électrique pour qu'elle reste dépendante de la Société électrique
israélienne. De même, Israël a empêché la construction d'un port maritime
pour contrôler ainsi les exportations et les importations. La société
israélienne Dor a été chargée de fournir les territoires en gaz.
Pendant 40 ans, Israël a emprisonné 1,4 millions de gens dans le grand camp
de réfugiés, négligé et retardé, qu'est la bande de Gaza, en faisant des
"pauvres et des exclus", comme aurait dit le prophète Isaïe. Le taux de
chômage à Gaza est de 60%, et les habitants dépendent du riz et du houmous
qu'ils reçoivent de l'UNWRA, l'agence des Nations unies. Cette situation est
désespérée. Les parents sont dans l'incapacité de donner à manger à leurs
enfants, les logements sont lugubres, la pauvreté est humiliante et la
saleté, la négligence et la surpopulation causent désespoir et agressivité.
Il n'existe quasiment aucune famille à Gaza dont un proche n'ait pas été tué
ou blessé, ou souffert de dégradation. Dans pareille situation, ils n'ont
rien d'autre à perdre que leur vie elle-même. Il est clair aujourd'hui que
quand le désespoir est suffisamment profond, même la vie n'a rien
d'attrayant. La semaine dernière, une femme dans son neuvième mois de
grossesse, mère de 8 enfants, a été arrêtée alors qu'elle allait commettre
un attentat-suicide.
Quand les Palestiniens disposaient d'un leader fort et largement accepté,
Yasser Arafat, avec qui il était possible de parvenir à une solution
définitive, Israël l'a dépeint comme un monstre et l'a emprisonné dans ses
quartiers de la Mouqata jusqu'à sa mort. Quand Abbas, leader plutôt
agréable, a pris sa place, Israël l'a humilié, l'a affaibli et a frappé
l'Autorité palestinienne. Israël n'a pas voulu lui laisser la réussite du
retrait de Gaza. Comment s'étonner que le Hamas ait gagné les élections?
Il y aurait beaucoup à dire sur le fossé entre riches et pauvres en Israël
(1), fossé dont on dit qu'il met en danger la stabilité de la société. Mais
que dire des fossés entre nous et les Palestiniens? Ne nous mettent-ils pas
en danger? Après tout, personne n'a envie de vivre dans une "villa dans la
jungle", comme l'a dit Ehoud Barak. Personne ne souhaite que son voisin soit
pauvre, au chômage, et prépare sa vengeance. Mais la situation est
précisément celle-ci. C'est là que nos dirigeants nous ont menés. Mais,
pour Netanyahou et Hendel, ce n'et pas un souci. Ce qu'ils veulent, c'est
conduire le pays sur le chemin de la destruction et du deuil : parce que la
Tombe de Rachel (2) est plus importante.
(1) Voir par exemple "Un Israélien sur 5 en-dessous du seuil de pauvreté" :
http://www.lapaixmaintenant.org/article251
(2) située en territoire palestinien, près de Bethléem.