'aretz, 3 octobre 2008
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1026027.html
Appel à une « Initiative Livni »
Daniel Levy (1)
Traduction : Gérard pour La Paix Maintenant
Si Tzipi Livni devient le prochain Premier ministre d¹Israël, elle apportera
à cette fonction la conscience qu¹il est urgent de parvenir à une solution
globale avec les Palestiniens sur la base de deux Etats. Cela, en soi, la
distingue de ses deux principaux rivaux. Benjamin Netanyahou, le leader du
Likoud, ne veut pas entendre parler de deux Etats viables et indépendants.
Le travailliste Ehoud Barak semble tout faire pour ne pas y arriver.
Tzipi Livni va hériter du processus de paix d¹Annapolis, et là commencent
ses problèmes. Annapolis repose sur un édifice logique vicié et brisé. Mais
il est possible que Livni, parce qu¹elle s¹est beaucoup investie dans ces
derniers pourparlers, ne puisse pas reconnaître ces défauts et qu¹elle
incline à poursuivre dans cette voie.
Il est également peu probable qu¹elle considère favorablement les autres
options à sa disposition : le maintien du statu quo ou le retour à
l¹unilatéralisme. Les raisons de rejeter le statu quo sont évidentes : la
continuation de l¹occupation menace les intérêts et l¹avenir d¹Israël, et
elle est intenable. La question de l¹unilatéralisme (rassurez-vous, elle
reviendra à l¹ordre du jour) est plus complexe. Il est devenu très
impopulaire, difficile à vendre à l¹opinion, et cela pour de bonnes raisons.
Mais réfléchissez au scénario suivant : les discussions avec les
Palestiniens sont bloquées ou dérapent, la menace plane d¹un appel
palestinien unifié en faveur d¹un Etat binational, Israël doit agir et
souhaite le faire dans des termes que lui seul dictera. Et revoilà
l¹unilatéralisme.
Il est même possible que la panique qui se répand à l¹heure actuelle sur les
dangers d¹une campagne en faveur d¹un Etat binational soit conçue pour
préparer le terrain à un retour à l¹unilatéralisme. L¹institut Re¹out a été
jusqu¹à faire circuler un plan où Israël tente d¹imposer un Etat palestinien
aux frontières provisoires dans une partie de la Cisjordanie.
Instinctivement, Livni est opposée à cet unilatéralisme, et ces plans sont
réellement une très mauvaise idée. L¹opposition des Palestiniens est quasi
garantie, les perspectives de sa pérennité seraient très faibles, le soutien
de la communauté internationale serait fort peu probable, et les auteurs du
plan de Re¹out reconnaissent eux-mêmes, faisant preuve d¹honnêteté
intellectuelle, que leur plan reviendrait en gros à créer des bantoustans à
la sud-africaine, de sinistre mémoire.
Cela signifie-t-il que le processus d¹Annapolis soit la seule option dont
dispose Livni ? Elle, ses négociateurs et leurs homologues palestiniens sont
des gens sérieux, ils discutent de vraies questions, ils font même des
progrès, mais ils ne réussiront pas, car l¹approche est viciée à la base.
Aujourd¹hui, l¹interlocuteur palestinien manque de la légitimité intérieure
nécessaire pour conclure et « vendre » un accord. Quand Israël parle de
renforcer le partenaire, cela ne fait que le faire paraître plus faible, en
particulier devant la réalité de l¹expansion des colonies, des restrictions
à la liberté de circulation, ainsi que la perception qu¹a la population que
l¹Autorité palestinienne commence à ressembler à un sous-traitant de la
sécurité d¹Israël. Des officiels israéliens ont déclaré ouvertement que tout
accord conclu ne serait en aucun cas appliqué sans conditions préalables,
conditions parfaitement inapplicables. Nombreux sont ceux qui, au Fatah,
sans même parler du Hamas, se révoltent contre ce paradigme.
Alors, une Livni Premier ministre est-elle condamnée à la paralysie ? Pas
nécessairement. Il y a une alternative, appelons-la « l¹initiative Livni ».
On peut considérer qu¹une réponse d¹Israël à l¹initiative de paix de la
Ligue arabe constituerait en elle-même un nouveau défi. A l¹initiative de
Livni, Israël annoncerait qu¹il est disposé à se retirer sur les lignes de
1967, y compris à Jérusalem, à évacuer les colonies en conséquence, et à
mettre fin définitivement à l¹occupation. Cette initiative irait bien plus
loin que le langage vague qui parle de « concessions douloureuses » et de «
deux Etats ». Elle serait explicite, y compris à travers un engagement à
mettre en ¦uvre réellement une « dé-occupation » selon un calendrier
prédéfini. Israël réclamerait des modifications mineures et réciproques, sur
la base d¹1 km2 contre 1 km2, aux frontières de 67 (pour y englober une
majorité de colons), des arrangements particuliers concernant la Vieille
Ville de Jérusalem, et des modalités de sécurité raisonnables (sans qu¹elles
soient une liste d¹exigences qui videraient le futur Etat de Palestine de
ses attributs de souveraineté). Tout en faisant preuve de compréhension à
l¹égard des souffrances des réfugiés palestiniens, Israël insisterait sur un
programme international de réhabilitation et d¹indemnisation où ces
réfugiés, en pratique, seraient relogés en dehors d¹Israël et tout
particulièrement dans le nouvel Etat de Palestine.
Cette initiative ne serait pas envoyée à une seule adresse. Israël jetterait
le gant aux Palestiniens, aux Etats-Unis, aux Etats arabes, au quartet du
Moyen-Orient et à la communauté internationale dans son ensemble. Israël ne
dicterait ni n¹opposerait pas de veto sur l¹identité du partenaire, mais
stipulerait qu¹une réponse acceptable devra être constituée de trois
éléments : un partenaire fort et légitime avec qui définir et tracer la
frontière exacte et les arrangements sur Jérusalem ; une mise en ¦uvre
détaillée du plan pour répondre aux inquiétudes légitimes d¹Israël pour sa
sécurité et pour pouvoir prévoir ce à quoi ressembleront la sécurité et la
gouvernance dans la zone dé-occupée ; une reconnaissance de la légitimité et
de la finalité du résultat [fin des revendications, ndt].
Une réponse effective entraînerait probablement une recomposition des
alliances chez divers acteurs. Une OLP reconstituée par un accord Fatah ­
Hamas pourrait être un acteur majeur, la Ligue arabe, comme les Nations
unies et même l¹Union européenne, pourraient en accepter des éléments-clés.
Certaines composantes de l¹initiative [en particulier financières, ndt]
exigeraient un engagement fort de la part des Etats-Unis (2). Pareille offre
susciterait probablement un vrai débat chez les Palestiniens et leurs
dirigeants politiques, à Gaza, en Cisjordanie et au-delà, mais même sans
cela, les Etats arabes ou les Nations unies pourraient provisoirement
remplir le vide et, avec d¹autres, faire partie de la solution, en étant
présents sur le terrain et en lui accordant une légitimité internationale.
Israël, bien entendu, devra alors considérer un oui raisonnable comme une
réponse.
L¹initiative Livni aurait également un autre avantage : elle prouverait
qu¹Israël peut encore faire preuve de courage et d¹audace malgré un système
politique dysfonctionnel et de plus en plus discrédité.
A toi de jouer, Tzipi !
(1) Daniel Levy a été conseiller politique de Yossi Beilin, membre de
l¹équipe des négociateurs israéliens à Oslo et à Taba, et l¹un des
principaux artisans israéliens de l¹initiative de Genève.
(2) Cet article a été écrit avant le gros de la crise financière...
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