Ha'aretz, 22 juin 2007
http://www.haaretz.com/hasen/spages/873759.html
Leçons de Palestine dans le monde arabe
Zvi Bar'el
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Le coeur qui saigne du poète national palestinien Mahmoud Darwish a touché
cette semaine tout le Moyen-Orient, et ses sentiments se sont étalés en
première page du journal Al Hayat : "Devions-nous tomber de ces nobles
hauteurs, devions-nous voir le sang couler de nos mains pour comprendre que
nous n'étions pas les anges que nous pensions être? Devions-nous exposer
notre nudité en public pour ne pas demeurer vierges? Oh, combien nous nous
sommes menti à nous-mêmes quand nous disions : Nous sommes quelque chose de
particulier. Il est pire de se mentir à soi-même qu'à autrui."
"Ce mois de juin a assailli notre mémoire de 40 années de défaites. Car, si
nous n'avons trouvé personne pour nous défaire une seconde fois, nous nous
sommes débrouillés pour le faire de nos propres mains, ne l'oublions pas. Ce
ne sont pas les fanatiques religieux qui me mettent en colère, après tout,
ils croient en leur voie, quelque étrange qu'elle soit. Ce sont leurs
partisans laïques qui me mettent en colère, les infidèles parmi leurs
partisans qui ne croient qu'en une religion : celle de leur image à la
télévision."
Ce profond examen de conscience de la part de Darwish constitue l'essence
raffinée d'une lamentation nationale palestinienne qui s'exprime dans des
dizaines d'articles, de forums et de prêches dans les mosquées. Elle
rappelle par certains côtés l'auto-flagellation chiite (en mémoire du Jour
de la Ashura, le jour de deuil qui trouve ses racines dans le martyre du
petit-fils du Prophète au VIIe siècle). "Les sociétés arabes ont souvent
connu des jours difficiles, mais celui-ci est le pire dans l¹histoire
arabe", écrit l'éminent éditorialiste Abdel Rahman Al-Rashed dans Asharq
Al-Awsat (1).
Le jour le plus difficile? Sur le forum du journal, Al-Rashed est habillé
pour l'hiver par un lecteur qui se présente sous le nom de Muhammad Abda et
qui lui rappelle que le Hamas n'est pas plus un agent de l'Iran, comme l'en
accuse Al-Rashed, que l'Irak. Et le lecteur lui demande : "Pourquoi ne voir
que la paille dans l'oeil du Hamas et non la poutre dans celui de l'Irak? Et
puis, qui dit que le Hamas et Haniyeh sont la cause de la guerre civile? Pas
du tout. Le siège de la communauté internationale et le complot arabe sont
la seule raison de l'échec du gouvernement d'union nationale. Après tout,
c¹est le ministre palestinien de l'information Mustafa Barghouti [un
indépendant] qui l'a dit lui-même."
Un Hamas aux bonnes manières?
Cette réponse est typique d'un discours autour de la trahison et du complot
qui a démarré dès que la prise du pouvoir du Hamas à Gaza a été connue. Mais
en réalité, ce discours suscite surtout les analogies : peut-on comparer ce
qui se passe en Palestine à ce qui se passe en Irak? Le Hamas est-il comme
le gouvernement irakien? Et peut-être est-ce le Liban en particulier qui
devrait tirer les leçons du Hamas et se poser la question : "Que se
serait-il passé si Beyrouth s'était réveillée un beau matin et s'était
retrouvée dans la situation de Gaza?", comme le titrait un article du
journal libanais Al-Nahar.
Mais les Arabes devraient peut-être comparer le Hamas au Hezbollah, comme le
suggère Abd al-Bari Atwan, rédacteur en chef de Al Quds Al Arabi, dans un
éditorial paru cette semaine : "Nous aimerions penser que le Hamas se
drapera de la même culture que le Hezbollah. Après la campagne extrêmement
difficile qu'il a menée contre Israël l'été dernier, cette organisation n'a
pas même tué un seul de ses opposants, ni pillé aucune maison, ni forcé
aucun bureau du gouvernement, ni remplacé le drapeau libanais, ni essuyé ses
bottes sur l'effigie d'un adversaire. Ce comportement tient à une éducation
aux principes élevés de la religion, chose que nous aurions espéré voir à
Gaza."
Le Hamas a-t-il de bonnes manières? Est-il exempt de tout péché? Abd al-Bari
Atwan aurait pu lire ce qu'a écrit son collègue Zuheir Kseibati dans une
tribune parue dans Al-Hayat, s'il avait voulu avoir une idée de la peur qui
saisit les Libanais à l'idée qu'un phénomène Hamas apparaisse au Liban, par
l'intermédiaire du Hezbollah. "Le Liban est menacé par un deuxième Gaza",
écrit-il. "Les gens à Gaza se demandent qui a fichu en l'air l'accord de La
Mecque [accord sur un gouvernement d'union nationale, ndt], et au Liban la
question se pose de savoir si le moment n'est pas venu de la désintégration
de l'accord de Taïf (de 1989, qui a mais fin à la guerre civile, note de
l'auteur)... Exactement comme à Gaza, les citoyens libanais sont menacés par
une lutte entre deux gouvernements (celui de Siniora et celui que le
Hezbollah aimerait voir naître, note de l'auteur), et par la désintégration
de l'unité nationale."
Cette inquiétude ne concerne pas le sort des Palestiniens, comme pour
Al-Rashed, mais il s'agit plutôt d'une peur libanaise, dans l'ombre de Gaza
et de l'indulgence d'Atwan envers le Hezbollah. Ce qui est arrivé aux
Palestiniens n'intéresse ces auteurs que dans la mesure où cela reste sur le
plan théorique. Ce qui arrivera aux Arabes, ou plus exactement au pays de
chacun des auteurs, et les leçons que chaque pays peut tirer des événements
en Palestine, sont des questions beaucoup plus intéressantes.
"Attardés et primitifs"
La Palestine produit peut-être des débats dans le monde arabe, mais le
problème palestinien peut aller au diable. "Nous en avons assez de nous
mentir en présentant le Palestinien comme quelqu'un de plus cultivé et qui
en sait plus que nous. Après tout, le Palestinien que nous voyons sur nos
écrans de télévision, quand il s'attaque à la chair de l'un de ses frères,
est le symbole d'un phénomène attardé et primitif", écrit l'intellectuel
égyptien Mamoun Fendi dans Asharq A-Awsat. Dans son article, il avertit les
Arabes en général, et non les Palestiniens, des implications des
développements à Gaza. Car les Palestiniens eux-mêmes, si l¹on en croit
Fendi, sont touchés par la lèpre. Et si, au Liban, on a peur de ce qui
pourrait se passer, cela vaut encore bien davantage pour l¹Egypte. Pour
Abdullah Kamal, rédacteur en chef du journal pro-gouvernemental Rose
el-Youssef, le Hamas est une question palestinienne qui n¹affecte l¹Egypte
que dans la mesure où il a ridiculisé les efforts de médiation égyptiens.
Mais le rôle le plus important du Hamas est de servir d¹instrument pour
s¹attaquer au "vrai" problème égyptien : les Frères musulmans, parents du
Hamas. Si Kamal réussit à prouver que le Hamas est traître et non fiable,
qu¹il représente le mal incarné, alors il s¹ensuit que l¹organisation mère
égyptienne présente les mêmes caractéristiques.
Et comment prouve-t-on la traîtrise du Hamas ? La rhétorique est quelque peu
nouvelle, mais les fondamentaux sont les mêmes : lier le Hamas à Israël et
au sionisme en général.
"Je voudrais dire quelques mots des accusations du Hamas à l¹égard du Fatah
qui serait dans le camp sioniste, alors que le Hamas lui-même, comme des
faits historiques l¹ont prouvé, est une création d¹Israël", écrit Kamal. Et
les "faits"» sont bien connus : Israël s¹est attaqué au régime d¹Arafat, à
son statut et à son influence, jusqu¹à l¹assiéger dans ses quartiers de
Ramallah. Israël a favorisé Ahmed Qoreï (Abou Ala) aux dépens d¹Arafat,
créant ainsi un double leadership. Israël et les Etats-Unis ont fait
pression sur Abbas pour qu¹il avance la date des élections, précipitant
ainsi la victoire du Hamas, etc.
Itzhak Rabin le bienfaiteur
Il y a pas mal d¹histoires qui circulent sur l¹aide financière offerte par
Israël au Hamas, mais le soutien le plus important a été apporté par Itzhak
Rabin, quand il a expulsé quelque 400 militants du Hamas au Liban en 1992.
En agissant ainsi, il instituait le Hamas en tant que mouvement
nationaliste. Mais les preuves de Kamal sont encore plus détaillées. La
"tahadiya" officieuse, période d¹accalmie temporaire entre Israël et le
Hamas, a été voulue par Israël pour permettre au Hamas de prendre le
contrôle de Gaza. Plus tard, la publication d¹informations concernant des
livraisons d¹armes américaines ou israéliennes au Fatah a servi à nuire au
Fatah et à améliorer une fois de plus le statut du Hamas.
Bref, le Hamas sert très bien les intérêts sionistes et il n¹est donc pas
étonnant que le gouvernement israélien l¹ait aidé autant pendant des années,
écrit Kamal, qui n¹oublie pas d¹accoler le titre de « courant confrériste »
au Hamas pour bien souligner ses liens avec les Frères musulmans. Kamal
n¹est pas tant intéressé à prouver que le Hamas a été une création d¹Israël
qu¹à établir le lien entre le Hamas et les Frères musulmans en Egypte. Ce
qu¹il laisse d¹ailleurs voir quand il suggère, dans le même article, que les
Taliban ne se trouvent pas seulement à la frontière de l¹Egypte, mais
carrément à l¹intérieur, où ils agissent pour le compte des sionistes.
(1) Nous avons traduit et diffusé cet article sous le titre (d'origine)
"Félicitations au Hamas". Pour le lire dans son intégralité :
http://www.lapaixmaintenant.org/article1639